“Le jour viendra où les progrès sociaux seront possibles”

“Le jour viendra où les progrès sociaux seront possibles”

Agora #91
17-19

Bernd Loescher, une personnalité éminente dont le mandat de Président de 2015 à 2019 a laissé une marque indélébile sur l’USF.

Interview Dr. Bernd Loescher, Président USF 2015 – 2019 par Liliane Banczyk

Cette interview a été publiée dans la 74e édition d’AGORA Magazine en septembre 2015, alors qu’il venait d’être élu président de l’USF. Bernd Loescher, une personnalité éminente dont le mandat de Président de 2015 à 2019 a laissé une marque indélébile sur l’Union Syndicale Fédérale.

Le profond attachement de Bernd aux principes de solidarité et sa solide conviction du progrès social ont non seulement influencé la trajectoire de notre syndicat, mais continuent de résonner profondément dans notre culture collective.

L’engagement de Bernd Loescher dans le mouvement syndical était évident dès ses premiers engagements dans le paysage syndical allemand. Son mandat en tant que membre du comité exécutif régional du syndicat unitaire pour les Ecoles et les Universités, illustre son dévouement de longue date aux valeurs des droits du travail et de la justice sociale. Lors de son passage aux institutions de l’Union européenne, l’engagement de Bernd est resté inébranlable en tant que trésorier du Comité du personnel du Conseil et membre du Comité de gestion de l’assurance maladie.
Son rôle déterminant en tant que trésorier et vice-président du Comité exécutif de l’Union Syndicale Bruxelles a établi les bases de sa présidence à l’Union Syndicale Fédérale (USF). Au cours de sa présidence, Bernd Loescher a fait preuve d’un leadership exemplaire, relevant des défis complexes avec intégrité, vision et un engagement inébranlable en faveur des intérêts du personnel. Sous sa direction, notre organisation a connu une croissance remarquable, a fait preuve de résilience et a défendu les droits et le bien-être de tous les employés des institutions européennes.

En republiant cet entretien, nous espérons que les profondes contributions de Bernd et ses idées serviront de source d’inspiration et d’orientation alors que nous poursuivons notre parcours collectif vers un avenir plus juste, plus équitable et plus efficace pour tous les membres de notre syndicat.

En tant que nouveau Président de l’Union Syndicale Fédérale (USF), comment concevez vous votre mission et les défis à affronter ?

BL : Les défis, ça ne manque pas ! Nous devons absolument, dans les années à venir, redéfinir un cadre de négociation dans lequel le personnel peut se faire entendre. C’est ce qui a cruellement manqué en 2013, et c’est pourquoi le résultat de la réforme du Statut a été aussi catastrophique. Le cadre de négociation dans lequel on avait l’habitude de discuter, à savoir la Commission de Concertation (COCO), n’est plus opérationnel depuis que le PE est colégislateur : un tel cadre doit être reconstitué.

En liaison avec cela, on assiste à une attitude agressive de nos employeurs, qui essaient de profiter du climat politique pour faire reculer les droits sociaux, et c’est une bataille dure qu’on doit mener. Un troisième défi est l’accès à la justice. Nous avons besoin d’une justice qui fonctionne et qui rend les jugements rapidement, ce qui est menacé par le projet de réforme de la Cour de justice avec la suppression du Tribunal de la Fonction publique. Le contentieux de la Fonction publique passera au tribunal général, et il n’y aura plus de juge spécialisé dans le droit du travail ou le droit social. On risque alors d’avoir des procédures bien plus longues, avec moins de compréhension pour nos litiges, ce qui donnerait encore plus de marge de manœuvre à nos employeurs pour prendre des décisions arbitraires contraires au Statut, parce qu’ils savent que cela devient plus compliqué de saisir des juges et d’obtenir gain de cause au tribunal.

Récemment, l’USF a saisi le Parlement européen à ce sujet, et nous avons demandé aux députés européens de ne pas accepter la suppression du Tribunal de la Fonction publique. L’accès à la Justice est aussi un grand problème pour nos collègues qui travaillent dans les autres Services publics internationaux, comme l’Office des Brevets, par exemple.

Ce n’est pas le genre de choses dont on entend parler dans les couloirs !

BL : En effet, on n’imagine pas qu’un jour, on aura besoin d’aller au tribunal. A l’Union Syndicale, nous aidons un bon nombre d’adhérents pour contester des décisions litigieuses. Cela peut arriver à chacun plus rapidement qu’il ne le croit, et, évidemment, le syndicat est là pour aider avec son expertise et aussi en participant au financement de ces procédures coûteuses. Il y a vraiment beaucoup de cas concernant l’Assurance-maladie, qui impose des interprétations trop restrictives de la règlementation pour faire des économies. Ce qui reste comme possibilité aux collègues, c’est de saisir le tribunal.

En tant que nouveau Président, quelle serait votre touche personnelle dans cette fonction ?

BL : Je n’ai pas commencé le syndicalisme en arrivant à Bruxelles : ça m’a accompagné pendant toute la vie. Je pense que c’est, pour moi, un réflexe assez naturel de chercher la solidarité avec les collègues et de me mettre à la disposition de ceux qui ont besoin d’aide. La chose qui me tient le plus à cœur, c’est la cohésion entre les organisations et leurs adhérents, qui est l’essence même de l’activité syndicale. L’idée syndicale, c’est la solidarité entre petites et grandes organisations, entre organisations qui évoluent dans les institutions européennes et celles qui évoluent en dehors : l’Office européen des Brevets ou encore le Conseil de l’Europe. C’est cet esprit fédéraliste qui doit être renforcé.

Dans une grande organisation comme l’USF, avec une vingtaine d’organisations membres et des milliers d’adhérents, c’est rassurant de savoir qu’on a le soutien d’une grande organisation de dix mille adhérents ; en même temps, ça nécessite aussi que chacun des responsables locaux soit prêt à donner une partie de son énergie et de ses ressources au profit du collectif.

Un exemple concret : sur ma proposition, l’USF a créé, il y a deux ans, un fonds de grève alimenté par toutes les organisations membres. C’est un très bon exemple de la solidarité qu’on peut faire jouer lorsqu’on a des milliers d’adhérents. Une autre chose qui me tient à cœur, c’est la particularité de l’USF d’être le seul grand syndicat de la Fonction publique européenne qui est affilié à la Fédération syndicale européenne des Services publics. Cet ancrage avec le monde réel, le mouvement des travailleurs à travers l’Europe, est crucial pour l’identité de l’USF.

Nous apportons notre expertise dans un domaine particulier au profit des centrales syndicales et, inversement, le soutien de ces centrales est souvent très important quand on veut obtenir gain de cause dans un dossier particulier. Je vais prendre comme exemple notre opposition au Trade Service Agreement, qui nous inquiète beaucoup, où les grandes centrales européennes et mondiales œuvrent avec toute leur énergie contre l’idée de privatisation ou dérégulation des Services publics. C’est un combat qui unit tout le mouvement ouvrier, syndical : nous sommes très fiers d’en faire partie.

Quelles sont les actions au niveau européen dans lesquelles l’US a participé ?

BL : L’US a activement participé à la dernière grande manifestation de fin 2010, qui a eu lieu à Bruxelles suite à l’appel de la Confédération des Syndicats, avec plus de dix mille manifestants contre l’austérité et pour une autre Europe. C’est ce genre de choses qui nous distingue des autres syndicats dans les institutions, qui ont souvent limité leurs actions à leur propre petit jar – din. Pour donner un autre exemple, la Méthode annuelle des adaptations des salaires pour avoir une contrepartie à l’inflation a été obtenue par deux longues grèves en 1981 et 1991, menées par l’US contre les institutions européennes. Aujourd’hui, chacun trouve normal l’application de cette Méthode, sans se rendre compte qu’il y eu des milliers de collègues qui ont fait grève pendant des semaines pour l’obtenir.

Cela vaut la peine de le rappeler … Vous avez beaucoup d’expérience et plein d’énergie pour faire bouger les choses !

BL : J’espère que l’énergie va suffire pour relever les différents défis et pour faire avancer notre cause. Depuis cinq ans, on est dans une position très défensive. Il faut se battre contre le recul de nos droits, que ce soit l’augmentation de l’âge de la retraite, la criminalisation des activités syndicales dans certaines organisations internationales, l’augmentation du temps de travail ou autre, mais je suis convaincu que le jour viendra où les progrès sociaux seront possibles. Je suis réaliste : il n’y a pas seulement la couche négative qui est la plus visible, mais quand on creuse un peu, on trouve aussi des tendances qui donnent de l’espoir.

Un excellent mot pour la fin !

Liliane Banczyk

A PROPOS DE L’AUTEUR

Liliane était chargée de communication à USB circa 2010 – 2019