Violation du droit de grève à l’OEB

Dossier Spécial, Juridiques
OEB

Jugements historiques du Tribunal administratif de  l’Organisation internationale du travail (TAOIT)  sur la violation du droit fondamental de grève  par l’Office européen des brevets (OEB)

Le 7 juillet 2021 le TAOIT a décidé que les règlements de grève de l’OEB mis en place depuis le 1er juillet 2013 créaient un régime imposant certaines limitations à l’exercice du droit de grève qui était illégal, car il violait le droit fondamental de grève. Après huit ans de violation d’un droit fondamental à l’EPO (dont trois ans sous le mandat d’un nouveau Président), il est maintenant temps d’en assumer les conséquences et de réparer les dommages causés à l’organisation et au personnel.

Lors de sa 132ème session, le Tribunal a rendu un total de 43 jugements, dont 25 concernent l’OEB.

La nouvelle encourageante de cette session est que les affaires suivantes, concernant le droit de grève à l’OEB, ont toutes été jugées en faveur des plaignants :

  • Les jugements 4430, 4432 et 4434 sur la circulaire 347 de l’OEB (« circulaire sur les grèves »)
  • Les jugements 4433 et 4435 sur les retenues de 1/20éme par jour de grève.

Parmi ces jugements, le jugement 4430 est fondamental, car il a une portée générale, définissant et réaffirmant certains principes universels relatifs au droit de grève dans les organisations internationales. En outre, le jugement 4430 considère que la circulaire 347 de l’OEB sur les grèves est illégale et doit être annulée.

Il s’agit d’une victoire juridique claire pour les plaignants, le personnel de l’OEB et l’US-OEB (Syndicat du personnel de l’Office européen des brevets) qui a soutenu une partie des plaignants tout au long du processus.

Contexte

En juin 2013, suite à une proposition de l’ancien président de l’OEB Benoît Battistelli, le Conseil d’administration a adopté le document CA/D 5/13, qui a créé un nouvel article 30 bis du règlement de service relatif au droit de grève.

Ce nouvel article 30 bis énonce quelques règles de base concernant les grèves. Son paragraphe (2) définit la grève comme « …un arrêt de travail collectif et concerté d’une durée limitée lié à la condition d’emploi ». Le paragraphe (3) stipule qu’une grève peut être déclenchée par « un comité du personnel, une association d’employés ou un groupe d’employés… ». Le paragraphe (4) précise que « La décision de déclencher une grève doit résulter d’un vote des employés », et enfin le paragraphe (10) autorise le Président de l’OEB à « …fixer d’autres modalités d’application du présent article à tous les employés ; ces modalités portent notamment sur la durée maximale de la grève et le processus de vote ».

Sur la base de cette dernière disposition de l’article 30 bis, la circulaire 347 (« circulaire sur les grèves ») contenant des « Directives applicables en cas de grève » a été publiée et est entrée en vigueur le 1er juillet 2013.

Voici les paragraphes les plus controversés de la circulaire 347 :

  1. Grève : « … les actions industrielles … telles que le « go-slow » ou le « work to rule » ne sont pas considérées comme une grève» et par conséquent elles ne bénéficient pas de la même protection.
  2. L’appel à la grève : « …ou un groupe d’employés représentant au moins 10 % de l’ensemble des employés de l’OEB peut décider d’appeler à la grève…».
  3. Décision de déclencher une grève : « …Le processus de vote est organisé et complété par l’Office… »; « …pour être valable, au moins 40% des employés ayant le droit de vote doivent participer au scrutin. La décision de déclencher une grève doit être approuvée par une majorité de plus de 50% des votants».
  4. Durée de la grève : « …La durée de la grève ne doit pas dépasser un mois»
  5. Déduction de la rémunération : « … Pour une participation à une grève de plus de quatre heures …une déduction de 1/20ème de la rémunération mensuelle».

L’US-OEB, le personnel de l’OEB et leur représentants se sont vivement opposées et ont critiqué ces nouvelles règles de grève, sans précédent dans les organisations internationales et qui constituent une attaque indéniable contre les droits fondamentaux des employés. Leur critique a été suivie et partagée par des parties prenantes externes et le public.

Parmi ceux-ci, Sylvie Jacobs, présidente de l’USF à l’époque, a condamné les nouvelles réglementations et a écrit un article sur la newsletter AGORA de l’USF en janvier 2014. Elle y déclarait notamment : « La politique RH du président de l’OEB, M. Battistelli, révèle un sérieux manque de compréhension des droits fondamentaux des travailleurs, en particulier de leur droit d’association sous la forme d’un syndicat ».

En septembre 2013, des demandes de révision ont été déposées par les plaignants, suivies plus tard par une procédure interne de 6 années devant le comité de recours  de l’OEB et enfin de plaintes déposées au TAOIT fin 2019. Les longs délais pour obtenir une décision en faveur du rétablissement d’un droit fondamental montrent que le système de justice interne de l’OEB n’est pas adapté aux plaintes de cette nature politique.

Jugement 4430

Comme nous l’avons déjà dit, le jugement 4430 est fondamental, et ses considérations peuvent être étendues à toutes les organisations internationales. Le présent article ne traitera que des détails de ce jugement.

Vous trouverez ci-dessous quelques-unes de ses considérations les plus pertinentes ; ce qui suit ne se veut pas une analyse juridique de l’arrêt, mais seulement un aperçu explicatif de celui-ci :

  • Considération 13 : « … une grève … est un outil dont disposent les employés pour redresser un déséquilibre de pouvoir» ; « … en l’absence d’un droit de grève, il est loisible à un employeur d’ignorer les supplications des employés avancés collectivement pour examiner….leurs griefs… ».

Nota : cela pourrait mettre en péril la validité des règlements introduits de juillet 2013 à aujourd’hui à l’OEB. Plus généralement, cela pourrait mettre en péril la validité des règlements adoptés alors que les droits fondamentaux du personnel ne sont pas respectés.

  • Considérations 14 et 15 : « … une décision générale ne peut être contestée… tant qu’une décision individuelle n’a pas été prise…», cependant, puisque la circulaire 347 a eu un effet immédiat et négatif sur les droits individuels (le droit de grève) dès sa promulgation, la décision générale peut être contestée dans ce cas ;

Nota : ce point est intéressant car il confirme qu’un plaignant peut directement contester une décision générale lorsque celle-ci a un effet immédiat et défavorable sur le plaignant.

  • Considération 16 (Légalité de la circulaire 347) :

o Concernant le paragraphe 1 :

  • La circulaire va au-delà de la définition de la grève dans le règlement de service ; « …elle ne peut pas le faire en tant que document juridique normatif subordonné…».
  • « le « go slow » et le « work to rule » sont des formes légitimes d’action industrielle protégées par la conception ordinaire du droit de grève ….»

o Concernant le paragraphe 2 :

  • L’imposition d’un minimum de 10% de salariés pouvant appeler à la grève est illégale, car elle revient à priver un groupe de moins de 10% désireux de faire grève du droit de grève.

o Concernant le paragraphe 3 :

  • La condition selon laquelle « au moins 40% des employés ayant le droit de vote doivent participer au scrutin» est illégale, car elle permet à une majorité du personnel de priver une minorité du droit de grève.
  • « la condition selon laquelle le vote doit être organisé par le Bureau viole le droit de grève. Les employés eux-mêmes devraient pouvoir prendre des dispositions pour le vote…»

o Concernant le paragraphe 4 :

  • « la limite de temps imposée à la durée de la grève a violé le droit de grève. Les employés en grève devraient pouvoir, eux-mêmes, déterminer la durée de la grève.»
  • Considération 17

« Eu égard aux violations du droit de grève susmentionnées, qui infectent la circulaire 347 dans son intégralité, la circulaire est illégale et doit être annulée ».

Dans le jugement 4430, le Tribunal ne délibère que sur la légalité de la circulaire 347 et ne discute pas de la légalité du statut du personnel, parce qu’il ne sait pas, dans sa composition actuelle, « s’il est compétent pour annuler une disposition du statut du personnel » (cf. considération 11 du jugement 4430). Il est cependant tout à fait clair que les dispositions du statut du personnel, comme par exemple le paragraphe (10) de l’article 30 bis, sont illégales et inapplicables.

Conclusions

Il a fallu huit ans, dont plus de six dans des procédures internes longues et épuisantes, pour que l’un des droits les plus fondamentaux des employés – le droit de grève – soit finalement restauré dans son intégralité par le TAOIT, et que les règlements injustes imposés par l’administration précédente et laissés en place par l’administration actuelle soient déclarés illégaux et annulés.

Malgré les nombreuses tentatives de l’US-OEB, au cours de ces huit années, pour que la nouvelle réglementation sur la grève soit discutée, modifiée et mise en conformité avec les normes internationales, l’ancienne et l’actuelle administration de l’OEB ont décidé de suivre strictement la voie contentieuse jusqu’au bout. Pour la nouvelle administration, en place depuis trois ans, c’est une occasion manquée de rétablir l’État de droit et un véritable dialogue social à l’OEB.

Pendant tout ce temps, le Conseil d’administration a fermé les yeux sur ces règlements défectueux, manquant à ses devoirs et responsabilités en tant qu’autorité de contrôle. Il convient de souligner que l’OEB – comme toutes les autres organisations internationales – tout en jouissant d’une immunité juridictionnelle, est « …soumis aux obligations inhérentes aux droits de l’homme… », tel qu’énoncé dans la résolution 1979 (2014) du Conseil de l’Europe.

Ces derniers jugements du TAOIT auront certainement un impact important et durable sur le statut du personnel à l’OEB et probablement dans la plupart des organisations internationales. Espérons que l’administration de l’EPO révisera enfin sa politique RH et sa façon de traiter avec les syndicats et la représentation du personnel à l’avenir avec un véritable dialogue social.

Roberto Righetti
Vice-président USF
Membre du Bureau USOEB La Haye

Quelques lectures complémentaires intéressantes (en anglais) :

SUEPO publication on the ILOAT judgements, 29/07/2021.

http://patentblog.kluweriplaw.com/2021/07/13/ilo-epo-president-battistelli-abused-his-power-in-restraining-workers-right-to-strike/

https://www.managingip.com/article/b1sq3fhj22c496/opinion-epo-complaints-procedure-in-need-of-shake-up

http://patentblog.kluweriplaw.com/2021/07/21/trade-union-to-epo-president-campinos-quash-unlawful-strike-restrictions/

Jurisdictional immunity of international organisations and rights of their staff”, Report of the Council of Europe, 11/10/2017, paragraphs 18 and 19.

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