Cet article présente les tactiques antisyndicales qu’IPSO a observées au sein de la BCE. En y regardant de plus près, cela reflète une vision à court terme qui nuit à la société dans son ensemble et qui devrait être reconsidérée.
Cet article présente les tactiques antisyndicales qu’IPSO a observées au sein de la BCE. Certaines d’entre elles peuvent avoir été déployées intentionnellement, tandis que d’autres peuvent simplement refléter des préjugés inconscients. Dans l’ensemble, il pourrait sembler logique pour un employeur d’affaiblir la position de négociation des représentants des travailleurs afin de maximiser son propre profit ou son pouvoir. En y regardant de plus près, cela reflète une vision à court terme qui nuit à la société dans son ensemble et qui devrait être reconsidérée.
La maximisation du profit de l’employeur et la discrimination systématique
Pour un employeur qui cherche à maximiser ses profits, il est logique de chercher à maximiser sa part de la valeur ajoutée, au détriment de celle de ses employés. L’un des moyens traditionnels d’y parvenir, comme l’explique l’économiste Thomas Breda, est d’affaiblir le pouvoir des travailleurs en ciblant leurs représentants. Cela peut se faire soit en essayant de les influencer (par exemple, en les corrompant) afin que leurs objectifs de négociation s’alignent davantage sur les intérêts de l’employeur, soit en les discriminant au cas où les tentatives d’influence n’auraient pas fonctionné. En fait, l’analyse empirique menée par T. Breda et J. Bourdieu sur environ 4 000 établissements français montre que le niveau de discrimination salariale et de carrière des représentants syndicaux est proportionnel à leur niveau de combativité : plus ils défendent les intérêts des employés, plus ils souffrent de discrimination.(1) Dans une autre recherche, Breda trouve une réduction approximative de 10% des salaires des employés qui se sont engagés dans des activités de représentation des travailleurs.(2)
Il est évident qu’un tel ciblage doit être considéré comme une pratique injuste. Le simple objectif de la négociation collective est de rétablir le déséquilibre des pouvoirs entre les investisseurs, qui sont déjà incorporés dans un organe collectif (à savoir la compagnie), et la main-d’œuvre, qui devrait également s’incorporer dans un organe collectif (à savoir le syndicat) si elle veut obtenir de meilleures conditions inscrites dans un contrat collectif qui profitera à tous. C’est la raison pour laquelle de nombreux pays prévoient des règles visant non seulement à protéger la liberté d’association et la négociation collective, mais aussi à les encourager. D’un point de vue économique, on pourrait considérer ce droit comme la mise en œuvre de principes de concurrence équitable sur le marché du travail.
Néanmoins, les droits protégeant les activités syndicales n’ont pas émergé spontanément de la bonne volonté de l’employeur. Ils ont été accordés historiquement après que les travailleurs se soient mobilisés pour les obtenir. Nous ne devrions jamais oublier que nombre de nos prédécesseurs ont été abattus par l’armée ou la police pour avoir simplement tenté d’obtenir des accords équitables pour les travailleurs qui ne parvenaient pas à joindre les deux bouts malgré de longues heures de travail, car la majeure partie de la valeur ajoutée était accaparée par ce que l’on appelle les « capitaines d’industrie ». Pour la même raison, il serait illusoire de croire que le rééquilibrage de relations de travail déséquilibrées peut être obtenu uniquement sur la base de la bonne volonté des employeurs et sans mener une lutte acharnée (lorsqu’un tel équilibre n’émerge pas des mécanismes prévus par la loi). À moins que nous ne renoncions à représenter les intérêts des travailleurs, il faut s’attendre à ce que nous, représentants syndicaux, devions faire face à de nombreuses discriminations et à des tactiques vicieuses de la part de l’employeur.
[1] Bourdieu, Jérôme, et Thomas Breda. « Des délégués syndicaux sous-payés : une situation de discrimination stratégique ?. Une analyse économétrique à partir de l’enquête REPONSE de 2010 », Travail et emploi, vol. 145, no. 1, 2016, pp. 31-58.
[2] Breda, T. (2014) “Les délégués syndicaux sont-ils discriminés ?”, La Revue Economique, vol 65, n°6, pp. 841-880.
Institutions publiques : partage du pouvoir plutôt que partage des profits
On pourrait néanmoins affirmer que les institutions publiques se trouvent dans une configuration différente. Elles ne sont pas des employeurs qui maximisent leurs profits et elles poursuivent l’intérêt public. Il s’agirait toutefois d’une vision assez naïve, car il existe de nombreux exemples (tant théoriques que pratiques) où le pouvoir accordé à la gestion des institutions publiques a été utilisé pour servir des intérêts différents de ceux du public. C’est pourquoi des mécanismes de contrôle et d’équilibre sont nécessaires. En outre, il peut y avoir différentes définitions de ce qu’est l’intérêt public. Comme l’a souligné Karl Marx, l’idéologie d’une personne est souvent déterminée par sa position dans la hiérarchie sociale. Les points de vue des cadres supérieurs des organisations publiques ne sont pas nécessairement alignés sur ceux des citoyens qui ne sont peut-être pas aussi bien traités que la classe dirigeante supérieure. Sans entrer dans les détails des mécanismes spécifiques en place dans le secteur public, nous espérons que le lecteur admettra facilement notre point de vue selon lequel, dans les institutions publiques, la relation de travail ne consiste pas seulement à partager les bénéfices, mais aussi à partager le pouvoir.
Extra-territorialité et extra-concentration du pouvoir
Il convient cependant d’être attentif à une spécificité des organisations internationales, qu’elles soient européennes ou non, à savoir leur extraterritorialité. L’extraterritorialité signifie que l’essentiel de l’appareil législatif censé protéger et favoriser des relations industrielles équitables au niveau national n’est plus contraignant. Pire encore, la compétence législative pour déterminer ces règles a été transférée à l’employeur, qui se trouve ainsi placé dans une situation évidente de conflit d’intérêts (ayant à établir des lois accordant des pouvoirs à la représentation des travailleurs, qui affaibliront inévitablement ceux de l’employeur).
Enfin, et ce n’est pas un point mineur, une différence substantielle entre le législateur national et le législateur extraterritorial est que le premier est élu par les citoyens qui seront soumis aux lois, alors que le second ne l’est pas. Dans un État démocratique, les travailleurs sont également des électeurs et peuvent donc avoir leur mot à dire sur les lois qui s’appliqueront à eux. S’ils ne sont pas satisfaits des lois adoptées, ils peuvent mettre en minorité leur législateur élu à l’occasion suivante et choisir d’autres législateurs qui pourront réviser les lois. Cela n’est pas possible dans une organisation extraterritoriale non démocratique.
Dans l’ensemble, il ne faut pas s’attendre à ce que le niveau de protection des représentants des travailleurs dans les organisations extraterritoriales corresponde à ce qui est disponible au niveau national.
Tactiques antisyndicales à la Banque centrale européenne
En ce qui concerne la situation à la Banque centrale européenne (BCE), il est juste de dire que les actions de l’employeur n’ont pas fait exception à la règle. Nous avons pu observer des actions qui peuvent clairement être assimilées à des tactiques antisyndicales et qui n’ont pas facilité l’émergence de relations de travail équitables. À cet égard, les prérogatives et l’autonomie découlant de l’extraterritorialité de l’institution ont grandement facilité les écarts par rapport aux normes en vigueur dans la plupart des pays européens.
Le refus de reconnaître les syndicats
La tactique antisyndicale la plus évidente a été simplement le refus de reconnaître les syndicats à la BCE. L’Institut monétaire européen (IME) a été créé le 1er janvier 1994 et remplacé par la BCE le 1er juin 1998. Les syndicats se sont constitués très tôt, dès 1994, grâce au soutien de la FSESP et des DAG et ÖTV qui allaient devenir Ver.di. Un autre syndicat, l’Union du personnel de la BCE (USE), a également été créé. La BCE refuse cependant de les reconnaître comme partenaires sociaux. L’argument utilisé à l’époque était que le personnel était déjà représenté par un comité interne du personnel. La BCE a également fait valoir que ces syndicats n’avaient pas apporté la preuve de leur représentativité. Toutefois, dans le même temps, la BCE n’a pas établi, en sa qualité de législateur, de règles ou de critères auxquels un syndicat devrait satisfaire pour établir sa représentativité. Il n’était donc pas possible pour le syndicat de démontrer qu’il remplissait des critères qui n’existaient pas.(1)
Ces tactiques ont gravement compromis la capacité des syndicats à s’établir à la BCE. L’absence de reconnaissance a sérieusement entravé la capacité du syndicat à opérer en interne : il n’y avait pas de droit formel à être consulté, pas de négociations, pas de dispense de temps accordée aux représentants syndicaux pour exercer leurs fonctions, pas de protection de l’emploi, pas de droit pour le syndicat de lancer un appel à la grève. En outre, le syndicat n’étant pas reconnu, le personnel de la BCE n’a pas été encouragé à y adhérer, car l’adhésion ne lui donnait pas accès à une représentation officielle. En outre, le refus de la BCE de reconnaître le syndicat a envoyé le signal que l’adhésion au syndicat pouvait être une décision dangereuse pour leur carrière ou même leur emploi. En conséquence, après des années d’échanges infructueux avec la BCE, un syndicat a même décidé de se dissoudre (l’USE).
Finalement, plus de dix ans après la création de la BCE, celle-ci a accepté de définir des critères de reconnaissance des syndicats, ce qui a donné lieu à la signature du protocole d’accord entre la BCE et l’IPSO, signé le 3 juillet 2008. Cette reconnaissance est intervenue après des années de lutte, avec des plaintes répétées de plusieurs fédérations syndicales (SCECBU, UNI, FSESP) à l’encontre de la BCE. En outre, la reconnaissance a eu lieu au milieu d’un conflit concernant une réforme des pensions, ce qui a incité de nombreux membres du personnel mécontents à surmonter leurs craintes et à rejoindre le syndicat. Il était donc de plus en plus difficile pour la BCE de se contenter d’ignorer les activités du syndicat. Enfin, la BCE devait célébrer ses dix ans d’existence lors d’une cérémonie officielle et publique, et l’on s’inquiétait d’une éventuelle action publique de l’IPSO à cette occasion. Cela a conduit la BCE et son président, Jean-Claude Trichet, à accepter d’ouvrir des négociations sur la reconnaissance des syndicats à la BCE.
[1] Il peut également se référer à C. Bowles. Agora (March 2010), The Lisbon Treaty at the ECB: does it change something or not?;
Confusion des organes et violation de la convention n° 135 de l’OIT
La reconnaissance n’a cependant pas entièrement résolu la problématique. Tout d’abord, la négociation collective a été explicitement exclue du cadre de reconnaissance.(1) Les droits accordés au syndicat sont les mêmes que ceux du comité du personnel, qui est consulté avant qu’une décision ne soit prise. Ceci diffère totalement du modèle de dualité en place à la Commission européenne où les syndicats négocient les conditions d’emploi et le Comité du personnel les met en œuvre. En outre, cette confusion des compétences est en contradiction avec les dispositions de la Convention n° 135 de l’OIT, dont l’article 5 exclut que la mise en place d’un organe de représentation interne soit utilisée pour compromettre l’activité d’un syndicat. En effet, pourquoi les collègues paieraient-ils une cotisation pour adhérer à un syndicat qui leur fournira les mêmes services qu’un comité du personnel qu’ils peuvent utiliser gratuitement ?
Deuxièmement, les critères de reconnaissance ne sont pas basés sur les résultats des élections au Comité du personnel. Celles-ci se déroulent toujours sur la base de candidatures individuelles, plutôt que sur la base de listes, sans implication formelle ni droits spécifiques des syndicats à faire campagne pendant les élections. La reconnaissance du syndicat repose sur des critères d’adhésion relativement stricts (10 % des effectifs (2)), dans un système où il n’est pas nécessaire d’être membre du syndicat pour bénéficier des acquis obtenus par le syndicat, ce qui favorise les comportements de « passager clandestin » conscients ou inconscients au sein du personnel. L’absence d’ancrage des critères de représentativité dans les élections de l’ensemble du personnel de la BCE est souvent utilisée par la BCE pour remettre en question la représentativité du syndicat (voir également les sections suivantes).
Troisièmement, les décharges de temps accordés aux représentants syndicaux sont très limités. Le syndicat ne reçoit qu’un peu moins d’un tiers de ce que reçoit le comité du personnel, alors que les tâches à accomplir par chaque organe sont les mêmes (consultations similaires, participation aux mêmes réunions, etc.) Le syndicat est donc placé dans une situation où il est structurellement voué à être surpassé par l’organe mis en place par l’employeur (le comité du personnel). L’électorat pourrait remarquer la différence d’activités entre les organes. Si les deux organes ont les mêmes compétences, mais que l’un d’eux est gratuit, plus actif et élu par l’ensemble du personnel de la BCE, il est tentant de s’engager principalement avec le comité du personnel et d’ignorer le syndicat.
En fin de compte, cette situation de chevauchement perturbe de nombreux collègues qui n’ont pas le bagage politique ou juridique nécessaire pour comprendre ces subtilités. Ils ont du mal à comprendre la différence entre les organes, pourquoi il est nécessaire d’avoir un syndicat en plus d’un comité du personnel, pourquoi les collègues du syndicat se présentent également aux élections du comité du personnel, etc.
[1] Le “considérant” excluant la négociation collective du champ d’application de l’accord est parfois utilisé par les représentants de la BCE pour faire valoir que le syndicat aurait renoncé à ce droit, parce qu’il aurait accepté un cadre qui n’y fait pas référence
[2] Avec ce critère, aucun des syndicats nationaux existant en France ne serait officiellement reconnu.
La valeur d’une représentation indépendante des travailleurs
Il est toutefois utile de disposer d’une représentation indépendante du personnel offerte par le syndicat, par rapport à une représentation interne du personnel telle que le comité du personnel. Historiquement, l’ambiguïté des organes de représentation interne a été constatée dès la création du comité d’entreprise en Allemagne dans les années 1920.(1) Un membre élu du comité d’entreprise reste sur la fiche de paie de l’employeur et constitue une cible plus facile qu’un syndicaliste rémunéré par le syndicat. Il peut se voir offrir des promotions en échange de son vote ou être menacé de licenciement s’il n’est pas favorable à l’employeur. Seul un organe externe contrôlé et géré par les travailleurs peut bénéficier d’une réelle indépendance vis-à-vis de l’employeur. C’est encore plus vrai lorsque l’employeur est doté d’une compétence législative et qu’il est libre de décider du mandat de l’organe, de sa constitution, y compris des règles d’élection, des limitations du mandat, de la disponibilité des ressources, etc.(2)
Globalement, la situation de confusion des instances qui prévaut à la BCE affaiblit fortement la position du syndicat en interne, car le rôle du syndicat n’est pas bien compris par les collègues ou même les homologues syndicaux (aux Ressources humaines ou au Directoire) qui remettent parfois en cause la participation des membres du syndicat au Comité du personnel. Dans l’ensemble, le syndicat est structurellement remis en question quant à sa raison d’être et à son existence. La représentation du personnel dans son ensemble est affaiblie. Cela ne fait que renforcer la position de négociation d’un employeur déjà doté de pouvoirs décisionnels unilatéraux très importants.
Dans ce contexte, la représentation du personnel a également été confrontée à des actions contradictoires ayant un impact sur les organes (qu’il s’agisse du syndicat ou du comité du personnel) ou sur les représentants élus du personnel.
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[1] Regardez Emil Frankel, The German Works Councils, Journal of Political Economy , Oct., 1923, Vol. 31, No. 5 (Oct., 1923), pp. 708-736
[2] Contrairement aux règles en vigueur à la Commission européenne, à la BCE, les règles électorales ne sont pas définies par le personnel (dans le cadre d’une assemblée du personnel ou d’un référendum), mais par l’employeur. Là encore, l’employeur se trouve dans une situation évidente de conflit d’intérêts.
Contester la représentativité des représentants dûment élus
La remise en cause régulière de sa représentativité est une action très préjudiciable. Le mécanisme fonctionne comme une poupée russe. Tout d’abord, la représentativité du syndicat est contestée au motif qu’il ne représenterait que les membres du syndicat, au lieu de représenter l’ensemble du personnel. Or, le comité du personnel est officiellement élu par l’ensemble du personnel et une majorité des membres élus du comité du personnel sont également membres du syndicat. Cette situation est ensuite utilisée pour contester la représentativité du Comité du personnel, qui serait indûment capturé par des représentants syndicaux ne s’exprimant qu’au nom d’une minorité du personnel. Pire encore, la représentativité du Comité du personnel a même été contestée par certains membres du Bureau exécutif parce qu’il ne serait pas composé de « personnel normal » mais de représentants du personnel, qui ont un raisonnement différent parce qu’ils se trouvent dans une situation différente, étant partiellement ou totalement déchargés de leurs fonctions dans leur domaine d’activité. C’est pourquoi la voix des représentants du personnel a parfois été rejetée par défaut. Pour savoir ce que pensent les membres du personnel, nos interlocuteurs se réfèrent à des conversations privées qu’ils ont eues avec certains collègues et les utilisent pour contester la perspective apportée par les représentants légalement mandatés.(1)
Il y a eu de nombreux exemples du mécanisme ci-dessus. Récemment, la BCE a publiquement affirmé que la plainte d’IPSO concernant une adaptation salariale deux fois inférieure à l’inflation « ne représentait pas nécessairement le point de vue de la majorité du personnel » parce qu’IPSO ne devait atteindre qu’un seuil de 10 % pour être reconnue comme représentative.(2) En répondant à cette question au journaliste, la BCE était cependant parfaitement consciente qu’IPSO détient 6 des 9 sièges du Comité du personnel élus par l’ensemble du personnel. En outre, l’affirmation d’IPSO était fondée sur une enquête auprès du personnel à laquelle ont répondu à la fois des membres d’IPSO et des non-membres d’IPSO – un fait également connu de la BCE. Dans son commentaire de presse, la BCE présente également de manière trompeuse IPSO comme « un syndicat actif à la BCE », suggérant implicitement qu’il pourrait y avoir d’autres syndicats actifs à la BCE (qui pourraient éventuellement avoir d’autres points de vue), alors qu’il n’y a aucun autre syndicat actif à la BCE.;
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[1] Bien entendu, les collègues proches du cercle des décideurs de haut niveau expriment probablement une position différente de celle de la majorité des collègues. De même, il n’est pas nécessairement facile pour un membre du personnel de se confronter à un membre éminent du conseil d’administration lorsqu’il discute des politiques qu’il met en place, sans s’inquiéter de l’impact potentiel sur sa carrière. C’est la raison pour laquelle nous avons besoin d’une représentation indépendante du personnel !
[2] POLITICO – ECB union suggests staff ease up at work as pay battle escalates, Johanna Treeck, 10 February 2023.
Traitement inapproprié de la représentation du personnel
Dans un autre registre, nos homologues se moquent régulièrement de la confusion des organes, arguant du fait que les mêmes personnes appartiendraient aux deux organes et qu’il serait donc très difficile de faire la distinction entre eux. De tels propos sont tout à fait déplacés et semblent ignorer que c’est la BCE qui a choisi d’accorder les mêmes compétences aux deux organes. De même, l’absence de membres syndicaux au sein du Comité du personnel serait probablement utilisée pour justifier son manque de représentativité. En tout état de cause, même si ces commentaires sont parfois formulés avec légèreté, ils sont toujours humiliants, désagréables et dévalorisants. Ils portent atteinte au représentant du personnel en tant que personne déjà en situation de vulnérabilité du fait de sa décision de prendre le risque d’affronter un interlocuteur puissant et de transmettre des messages non désirés. Elles remettent en question sa capacité à s’exprimer au nom de son électorat.
En fait, l’effet réel de ces « micro-agressions » va bien au-delà de l’attaque personnelle. Elles encouragent essentiellement les collègues à penser qu’ils se porteraient mieux si les membres des syndicats n’étaient pas élus au sein du comité du personnel, afin d’assurer une meilleure articulation et différenciation des deux organes. Le mécanisme est en quelque sorte conçu pour évincer l’approche collective d’un syndicat et laisser la place à un modèle individuel de représentation du personnel. Dans ce modèle, les candidats qui se présentent aux élections le font à titre individuel pour représenter leur propre point de vue au sein d’un comité du personnel. Le Comité du personnel est alors réduit à n’être qu’un « échantillon statistique » du personnel de la BCE sans orientation commune, sans structure d’adhésion pour le soutenir, sans capacité à organiser le personnel sur la base d’une plate-forme électorale et d’un plan d’action communs, etc.(1)
De manière symétrique, les représentants du personnel élus par le syndicat se sont vus régulièrement refuser leur qualité de représentants du personnel, par exemple par le Chief Service Officer. Ils ne seraient que des représentants syndicaux, même si de nombreuses parties des règles applicables au personnel de la BCE les désignent comme des représentants du personnel. Cette distinction est toutefois de courte durée, car la BCE elle-même revient souvent à l’étiquette de « représentants du personnel » chaque fois qu’il y a un gain d’efficacité à réaliser, par exemple pour économiser sur le nombre de réunions (une réunion avec les deux organes ensemble au lieu d’une réunion pour chacun), ou sur le nombre de mots. Par conséquent, ce refus de désigner les représentants élus d’IPSO comme représentants du personnel est principalement utilisé dans le but de nier leur fonction représentative et de la minimiser autant que possible.
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[1] Il s’agit du modèle d’élection décidé par la BCE, qui est basé sur des candidatures individuelles plutôt que sur une liste de candidats. À la Commission européenne, le modèle d’élection n’est pas décidé par l’employeur mais par les employés.
Autres exemples de tactiques injustifiées
De nombreuses autres tactiques antisyndicales ont été utilisées et il ne sera pas possible de les examiner toutes en détail. Quelques exemples suffisent :
– Encourager la concurrence et diviser la représentation du personnel : la création d’un syndicat concurrent favorable à l’employeur a été encouragée par certains Directeurs Generaux, le syndicat a pu avoir accès à des outils de communication (par exemple l’écran public) sans avoir à remplir les critères de reconnaissance qu’IPSO devait respecter (1); la stratégie de diversité est également utilisée pour encourager la création de réseaux de personnel qui ne doivent pas remplir les mêmes critères de représentativité que le syndicat, mais qui se voient accorder le même poids que la représentation officielle du personnel dans des dossiers spécifiques.(2)
– Interférences lors des élections : certains Directeurs Généraux envoient des recommandations de vote avant l’élection à leurs subordonnés au sein de leur propre direction.(3) Tentatives d’introduire une limitation de mandat qui aurait empêché tous les représentants du personnel actifs dans l’organe de pension pendant la réforme des pensions de se présenter à nouveau aux élections (4) ; tentatives d’empêcher IPSO d’utiliser le protocole d’accord avec la BCE qui permet au syndicat de communiquer avec ses membres pendant l’élection. Comme l’a dit un jour un président de l’IPSO : « lorsque vous vous présentez aux élections à la BCE, vous avez le sentiment que le véritable concurrent électoral est l’employeur ».
– Contrôle de l’espace de communication interne : le syndicat ne se voit pas accorder le droit de publier des annonces sur l’intranet visibles par l’ensemble du personnel, contrairement au Comité du personnel ; ce droit a toutefois été accordé à une association non représentative du personnel (« charité ») qui compte deux fois moins de membres qu’IPSO. Les réseaux se voient régulièrement accorder le droit de publier un titre très visible sur l’intranet, ce qui n’est guère le cas pour le syndicat.(5) La visibilité de l’annonce du Comité du personnel sur l’intranet a été réduite au fil du temps, le forum de discussion du personnel a été unilatéralement supprimé ; il y a eu des communications visibles sur l’intranet remettant en cause les activités du syndicat.(6)
– Contrainte financière : lorsqu’un collègue est traduit en justice, la BCE décide de faire appel à un avocat externe, même si elle dispose en interne d’avocats spécialisés dans le droit du travail de la BCE. Les frais d’avocat externe doivent être remboursés par la partie perdante, contrairement aux frais d’avocat interne. Cette stratégie dissuade donc fortement les travailleurs de saisir le tribunal, sachant que 72 % des affaires sont perdues et que l’intérêt financier de la plainte pourrait être bien inférieur au coût encouru (environ 20 000 euros pour une affaire perdue). Le syndicat offre donc un soutien financier pour préserver le droit des collègues à l’accès à la justice, et ce sont mécaniquement les finances du syndicat qui sont mises à rude épreuve. Dans les affaires judiciaires relatives aux pensions de 2009, les frais réclamés par la BCE s’élevaient à environ 130 000 EUR. Il s’agit de dépenses actuarielles que l’on aurait pu s’attendre à ce que la BCE ait effectuées avant la réforme des pensions. La BCE est pleinement consciente que le nombre de procès auxquels elle devra faire face est inversement proportionnel aux capacités de financement d’IPSO. Finalement, IPSO a porté l’affaire devant les tribunaux et la facture a été ramenée à 50 000 euros, ce qui a néanmoins porté un coup dur aux finances d’IPSO.(7)
– Politique du siège vide et stratégie de représailles : le directoire de la BCE a utilisé cette technique pour faire pression sur les organes représentatifs. Par exemple, la réunion annuelle du 17 avril 2018 avec le Comité du personnel a été unilatéralement annulée par le Directoire en raison d’une déclaration du président du Comité du personnel dans les médias. (8) Le président de la BCE a également cessé d’assister aux réunions annuelles avec le Comité du personnel et IPSO. Il a également déclaré publiquement, lors d’une conférence de presse, qu’il n’était pas possible de faire confiance aux représentants du personnel qui s’adressaient régulièrement à la presse.(9) Ces tactiques de représailles ont mécaniquement remis en cause la légitimité des actions des représentants du personnel, encourageant le personnel à voter pour des représentants faisant des choix différents. Elles ont créé un compromis impossible entre le fait de taire les préoccupations dans le but de garder l’accès à ceux qui décident, ou exprimer ces préoccupations mais perdre la possibilité d’être entendu par les décideurs. Il convient de souligner que la participation à ces réunions annuelles était une obligation professionnelle des membres du conseil d’administration.
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[1]Toutes ces communications visaient essentiellement l’IPSO, arguant que son manque d’esprit constructif était la raison de son manque de reconnaissance institutionnelle. Ironiquement, ce syndicat concurrent a dû fermer ses portes, car il n’a jamais pu satisfaire aux critères de reconnaissance stricts en termes de membres pour avoir accès au droit d’être consulté. Les critères de reconnaissance stricts établis en 2008 visaient à empêcher la création de l’IPSO, mais ils ont eu pour effet injustifié de rendre très difficile l’accès d’un syndicat concurrent à la reconnaissance formelle. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles les formes « non officielles » de représentation du personnel ont pu se développer. Elles sont censées faciliter la « diversité des points de vue » au sein du personnel, sans pour autant accorder des droits de représentation et de participation solides.
[2] Dans la réalité, ces réseaux finissent par se heurter aux mêmes limites que celles qui affectent le syndicat, à savoir l’absence de dispense de temps, le fait que leurs points de vue soient ignorés en raison de l’absence d’approche négociée, etc. Il est toutefois intéressant de noter qu’un réseau a été spécifiquement créé pour les cadres (femmes) (même si, par la suite, le réseau a été étendu pour faciliter la participation des aspirants cadres également). Ce facteur révèle l’ambiguïté inhérente à ce type de représentation informelle du personnel. L’objectif affiché est de soutenir la promotion des femmes et il s’agit en soi d’une entreprise très noble. En même temps, la constitution intrinsèque du réseau le fait pencher vers la perspective managériale. Par exemple, les assistants sont exclus du réseau même si 80% des assistants sont des femmes. De même, le réseau a été très absent des discussions sur l’amélioration des possibilités de télétravail – une question qui importait à de nombreuses femmes à la BCE, mais qui était moins soutenue par le personnel d’encadrement.
[3] Par exemple, lors des élections au comité du personnel de 2022, le chef des ressources humaines a envoyé un courriel soulignant que l’élection était l’occasion pour les collègues des ressources humaines de choisir leurs homologues. L’accent est mis ici sur l’intérêt commercial qui constitue la partie patronale, et non sur l’intérêt des employés qui pourraient bénéficier d’une représentation plus affirmée du personnel. Certains de ces courriels ont été envoyés après la clôture de la campagne électorale et avant le vote, ce qui ne laissait aucune marge de manœuvre aux candidats pour répondre aux recommandations de vote biaisées sans enfreindre les règles électorales.
[4] Regardez footnote 8.
[5] A noter, par exemple, que l’événement organisé par l’IPSO à l’occasion de la Journée internationale de la femme du 8 mars 2023 n’a pas été annoncé dans la liste des événements en cours fournie par la DG-Communication ce jour-là.
[6] Par exemple, en octobre 2019, lorsque le syndicat a lancé une enquête de fin de mandat, la DG-C a publié un titre très visible visant à discréditer l’enquête. La DG-C a publié un titre très visible visant à discréditer l’enquête. En juillet 2017, la DG-C a publié un autre message visible sur l’intranet contestant le fait que les représentants du personnel parlent aux médias, ce qui créerait une rupture de confiance (suggérant ainsi que le dialogue dysfonctionnel trouverait son origine dans le mauvais comportement des représentants du personnel).
[7] En Allemagne, les cotisations syndicales peuvent être relativement importantes, car un travailleur doit être membre du syndicat pour bénéficier du « Tarifvertrag » négocié par le syndicat. Toutefois, en l’absence de négociations collectives, il n’est pas possible de fixer les cotisations syndicales au même niveau et les finances du syndicat sont par construction beaucoup plus faibles.
[8] La BCE a publié une version tronquée des résultats de l’enquête 2018 auprès du personnel de la BCE et le président du comité de surveillance a souligné la nature tronquée des résultats de l’enquête.
[9] Nous vous laissons juger de l’ironie d’une telle déclaration faite devant une salle remplie de journalistes.
Cibler les individus au-delà des représentants du personnel
Au-delà des tactiques visant les organes de représentation du personnel, nous avons également pu observer un impact au niveau personnel pour les représentants du personnel.
Certaines actions ont comporté des menaces disciplinaires. Par exemple, les dirigeants du syndicat IPSO ont été accusés d’avoir envoyé un courriel au personnel de la BCE au nom du syndicat, pour fournir un modèle de recours interne contre l’application de l’ajustement salarial. La BCE a soutenu qu’IPSO n’avait pas le droit d’envoyer des courriels au personnel de la BCE et a par conséquent envoyé une lettre de blâme aux dirigeants syndicaux, à insérer dans leur dossier personnel.(1) Par ailleurs, la DG-HR a publié une annonce sur l’intranet faisant référence à une déclaration faite par le président du Comité du personnel dans la presse et rappelant que tous les membres du personnel de la BCE, y compris les représentants du personnel, sont liés par le cadre éthique qui exige de faire preuve de retenue à l’égard des médias.(2) Des menaces orales de procédure disciplinaire ont également été formulées à quelques reprises. En général, les représentants du personnel sont très conscients du risque que toute violation des règles établies par leur homologue pourrait entraîner pour leur propre emploi. Cela limite naturellement leurs actions.
Une autre dimension du préjudice personnel subi par la représentation du personnel concerne naturellement l’allocation des tâches professionnelles et l’évolution de la carrière. La BCE a d’ailleurs été condamnée à trois reprises par la Cour de justice des Communautés européennes pour discrimination à l’égard des représentants du personnel.(3) Le premier impact personnel provient de la compatibilité entre les fonctions de représentant du personnel et les fonctions professionnelles. Lorsqu’il n’y a pas de décharge de temps, comme c’était initialement le cas à la BCE (et comme c’est souvent le cas dans d’autres organisations internationales), les fonctions de représentation du personnel s’ajoutent aux fonctions professionnelles habituelles. Leur accomplissement conjoint se fait donc nécessairement au détriment de l’une de ces deux tâches, ou au détriment de la santé/du temps privé du représentant du personnel. Les managers prennent acte de la moindre disponibilité du représentant du personnel et cela a un impact négatif systématique sur les augmentations salariales. Nous en revenons donc à l’arbitrage initial mentionné, où un représentant du personnel accordant plus d’importance à ses fonctions professionnelles habituelles, au détriment de ses fonctions de représentant du personnel, sera mécaniquement mieux traité que celui qui choisit de mettre davantage l’accent sur sa fonction de représentant du personnel.
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[1] Affaire T-320/02, Monika Esch-Leonhardt et autres contre la Banque centrale européenne, 18 février 2004
[2] Un membre du Bureau exécutif nous a informés qu’il y avait eu une demande de lancement d’une procédure disciplinaire mais que cette demande avait heureusement été rejetée.
[3] Cerafogli vs ECB, F-84/08, 28 October 2010; Bowles vs ECB, F-94/14, 17 December 2015; Seigneur contre BCE, F-95/14, 17 décembre 2015. C’est purement anecdotique, mais en ce qui concerne mon propre cas, je n’ai jamais reçu un seul mot d’excuse de la part de mon employeur pour m’avoir discriminé. S’il avait été prouvé que j’avais moi-même discriminé quelqu’un, ma première action immédiate en tant que fonctionnaire aurait été de m’excuser auprès de cette personne. De telles excuses n’auraient rien coûté à la BCE, mais elles semblaient en quelque sorte trop coûteuses à faire, malgré tout.
Néanmoins, après des années de lutte et grâce au soutien de la Cour européenne de justice, la BCE a mis en place un système relativement protecteur de décharge de temps et de progression des salaires. Un système de promotion spécifique (mais limité) a également été introduit. Si ce système est bienvenu, il convient de rappeler qu’il a été obtenu après des années de préjudices subis par des générations de représentants du personnel.
En outre, le compromis fondamental entre le travail en tant que représentant du personnel et la progression de la carrière demeure, en particulier dans un système de carrière fondé sur les vacances de postes tel que celui de la BCE, où les promotions ne sont pas accordées à l’ancienneté mais seulement après avoir postulé à un poste vacant.
En effet, un représentant du personnel travaillant à temps plein pour la représentation du personnel n’aura par défaut aucune chance de réussir une campagne de sélection s’il n’est de toute façon pas disponible pour exercer la fonction demandée une fois nommé, en raison de sa dispense de travail pour son unité d´affectation. Plus une personne appartient à la représentation du personnel, plus l’écart est grand avec la carrière d’un membre du personnel typique. La réponse typique d’un département des ressources humaines (que ce soit à la BCE ou ailleurs) est d’affirmer que le représentant du personnel devrait « revenir travailler » s’il veut faire carrière. Cela concrétise l´arbitrage initialement mentionné, car les représentants du personnel sont découragés de développer leurs compétences en tant que représentants du personnel s’ils veulent pouvoir conserver une chance de poursuivre leur carrière. À moyen terme, un représentant du personnel qui choisit d’évoluer en tant que représentant du personnel acquiert les compétences associées et perd celles qui relèvent du domaine de compétence pour lequel il a été initialement recruté. Au fil du temps, cela signifie que les compétences du représentant du personnel seront fortement axées sur les domaines des ressources humaines et les compétences en matière de leadership. Pour obtenir une promotion, les représentants du personnel devront postuler à des postes vacants au sein des RH, où ils seront évalués par leurs contreparties, ce qui pourrait donner lieu soit à une capture (pour les représentants du personnel dont le point de vue était aligné sur celui des ressources humaines au cours de leur mandat), soit à une discrimination (pour ceux qui ont exprimé des points de vue divergents). En tout état de cause, le mécanisme est essentiellement malsain et sujet à des conflits d’intérêts.
La discrimination : l’autre face de la médaille de la participation
Il convient de souligner que la discrimination des représentants du personnel dans leur carrière est le revers de la médaille de la « participation ». En Europe, la participation des représentants du personnel au conseil d´administration de la compagnie est une pratique courante.(1) Ce mécanisme de participation est souvent protégé par la loi. À titre d’exemple, un membre du directoire de la Banque de France est élu par le personnel. Il s’agit là d’une opportunité de carrière intéressante pour un représentant du personnel. Par ailleurs, les syndicats locaux sont intégrés dans des fédérations nationales plus vastes qui offrent également des postes de direction de premier plan aux représentants du personnel, au-delà du périmètre de leur employeur. Il est donc possible de construire un parcours professionnel de représentant du personnel qui soit à la fois épanouissant et au service de l’intérêt général. Un travailleur comme Daniela Cavallo, élevé par une famille de travailleurs de Volkswagen et engagé très tôt dans IG métal, pourrait éventuellement obtenir un poste très important en tant que président du Comité d´entreprise de Volskwagen, et a même eu son mot à dire dans le licenciement du PDG de Volkswagen. (2)
Dans l’ensemble, l’ampleur de la discrimination de carrière des représentants du personnel reflète le système existant de démocratie sur le lieu de travail. Ce n’est pas par hasard que les représentants du personnel finissent par souffrir de discriminations. Le mécanisme par lequel la discrimination survient est le même mécanisme qui les empêche d’exercer leur fonction de représentant du personnel comme elle devrait idéalement l’être.
À cet égard, il convient de souligner que toutes les tactiques dites antisyndicales ne sont pas nécessairement le résultat d’une intention claire de l’employeur de causer des préjudices. Parfois, elles reflètent simplement les opinions personnelles des dirigeants, qui sont elles-mêmes déterminées par leurs propres conditions d’existence. L’idéologie managériale diffère du mouvement syndical, car elle poursuit des objectifs différents. Par conséquent, certains directeurs peuvent prendre des décisions qui marginalisent de facto les syndicats ou leur causent des préjudices uniquement parce qu’ils pensent que c’est la bonne chose à faire, d’un point de vue managérial. Nous pourrions considérer ces décisions préjudiciables comme une forme de déformation professionnelle, pour ainsi dire.
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[1] Jeremy Waddington, Aline Conchon. (2020, November 05). Board Level Employee Representation in Europe. In ETUI, The European Trade Union Institute. Retrieved 18:31, March 02, 2023, from https://www.etui.org/publications/books/board-level-employee-representation-in-europe
[2] See for instance The new works council leader at Volkswagen: What does she stand for? Dietmar Gaisenkersting, World Socialist Website, 5 May 2021 (consulted on 02 March 2023) https://www.wsws.org/en/articles/2021/05/06/volk-m06.html
La valeur supplémentaire des syndicats et de la démocratie au travail
C’est précisément là que la valeur de la démocratie au travail entre en jeu. L’histoire est remplie d’exemples de régimes autocratiques qui s’effondrent parce que personne dans l’entourage de l’autocrate n’ose l’informer des mauvaises nouvelles qui s’annoncent. La démocratie consiste à apporter le point de vue de chacun, ce qui – comme l’a affirmé Condorcet, sur la base de l’application statistique de la loi des grands nombres – garantit que nous serons tous plus proches de la vérité, car nos biais informationnels individuels s’annuleront plus facilement une fois que chacun aura partagé l’information qu´il détient. En outre, l’existence de contrôles et d’un équilibre au sein de l’organisation est un moyen de garantir que la concentration du pouvoir ne conduise pas à une capture de l’organisation par des intérêts privés, au détriment des actionnaires.
Historiquement, IPSO a contribué à identifier de nombreux dysfonctionnements organisationnels, en s’opposant aux pratiques de favoritisme (1), en alertant sur l’absence de contrôle d’identité lors des tests de recrutement en ligne, en veillant à ce qu’une politique de solvabilité des pensions soit développée, en contribuant à obtenir une réduction des risques d’épuisement professionnel, en obtenant de meilleures opportunités de promotion, en protégeant le salaire des femmes pendant la grossesse, en obtenant la transparence sur les déséquilibres en matière de nationalité, etc.(2) Ces réalisations n’ont pas seulement profité au personnel, mais ont servi un objectif supérieur, à savoir le bon fonctionnement de l’institution.
En fait, même la théorie économique reconnaît que les syndicats peuvent contribuer positivement au développement de la productivité, un point soulevé par le professeur Richard Freeman de Harvard en 1976, qui a déclenché un courant de recherche encore vivant aujourd’hui.(3) De même, l’école de négociation de Harvard encourage également à considérer les négociations comme un outil permettant de créer une valeur ajoutée pour les deux parties, plutôt que de les considérer comme un gain à somme nulle. Le rejet par défaut de la négociation en tant qu’outil permettant de surmonter les différences de points de vue ne peut donc qu’entraîner des résultats sous-optimaux pour tout le monde.
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[1] See OCTOBER 20, 2016 Exclusive: ECB annuls Brussels appointment after complaints of favoritism By Francesco Canepa https://www.reuters.com/article/us-ecb-workers-rottier-idUKKCN12K2GB
[2] Bowles, C. & Dufour, J. (2021). Indépendance institutionnelle, concentration des pouvoirs et changements administratifs à la Banque centrale européenne. Revue française d’administration publique, 180, 1033-1056. https://doi.org/10.3917/rfap.180.1033
[3] Freeman, Richard B. 1976. “Individual Mobility and Union Voice in the Labor Market.” American Economic Review 66(May):361–8
Les manœuvres antisyndicales : le symptôme d’un problème sociétal plus vaste
Pour en revenir à notre point de départ, il est certain qu’un employeur peut trouver logique de s’en prendre aux représentants des travailleurs. En même temps, l’employeur n’est pas une entité unique : il est composé d’une direction qui gère les entreprises et de parties prenantes qui possèdent officiellement l’entreprise mais ont délégué le pouvoir de la gérer à la direction. Comme le révèle la théorie du principal-agent, il n’y a pas nécessairement d’alignement entre les deux entités. Les parties prenantes peuvent juger utile d’avoir des contre-pouvoirs internes qui peuvent limiter le pouvoir de la direction et empêcher, par exemple, l’utilisation abusive des actifs de l’entreprise.
Plus fondamentalement, compte tenu de l’impact social de nombreuses grandes entreprises, il est également dans l’intérêt de la société dans son ensemble que des mécanismes internes existent pour prévenir les abus de pouvoir. Comme nous avons pu le constater dans de grandes entreprises américaines qui ne reconnaissent pas les syndicats, on ne peut pas compter sur le département des ressources humaines pour protéger les employés contre les pratiques de harcèlement ou même les comportements sexuels répréhensibles. En effet, les départements des ressources humaines dépendent de la direction, alors que les représentants du personnel dépendent des travailleurs. Dans un monde où la plupart d’entre nous passent une grande partie de leur existence au travail, la démocratie et l’existence de contre-pouvoirs ne devraient pas cesser d’exister devant les portes de nos bureaux. Au contraire, c’est là que la démocratie devrait commencer, si nous voulons garantir un monde meilleur.(1)
Dans l’ensemble, la stratégie de l’Europe consiste à encourager la représentation des travailleurs, et non à la saper. L’existence de tactiques antisyndicales est le symptôme que quelque chose ne va pas dans le fonctionnement d’une institution. C’est la matérialisation interne d’un déficit démocratique existant que toute personne croyant au projet européen devrait s’efforcer de combler.
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[1] Il convient de noter que la recherche montre que la démocratie sur le lieu de travail favorise également l’engagement démocratique des citoyens : Juillet 2022 IZA DP No. 15444 : Political Spillovers of Workplace Democracy in Germany Uwe Jirjahn, Thi Xuan Thu Le.
Carlos Bowles
A propos de l’auteur
Carlos Bowles a rejoint la BCE en tant que prévisionniste macroéconomique en 2003. Il a obtenu son doctorat en économie à l’Institut Universitaire Européen de Florence. Il préside actuellement le comité du personnel de la BCE et occupe également la fonction de vice-président d’IPSO. Cet article est rédigé en sa capacité de représentant syndical.