Revenir en arrière, évoluer vers l’avenir

Revenir en arrière, évoluer vers l’avenir

Agora #91
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La clé du succès du dialogue social a été la détermination de l'Union Syndicale et de ses partenaires à passer à l'action chaque fois que cela était nécessaire, y compris par des grèves

Les 50 ans de l’Union Syndicale Fédérale

Au-delà de la commémoration, le 50e anniversaire de l’Union Syndicale Fédérale est une excellente occasion de se pencher sur les réalisations et sur les défis futurs, sur les expériences acquises et sur les compétences syndicales à développer et à mettre en œuvre à l’avenir. Commençons par quelques réalisations anectodiques mais révélatrices.

La culture du dialogue social au sein des institutions européennes a été inventée par les premiers accords-cadres conclus avec la Commission européenne et le Conseil de l’UE, à l’époque avec seulement quelques syndicats (principalement l’Union syndicale et la FFPE). Cette culture est toujours la référence pour le dialogue social actuel au sein des institutions européennes et un critère pour les nombreuses agences et autres organisations internationales créées entre-temps.  Bien sûr, la situation est devenue de plus en plus difficile en raison de l’approche souvent hostile et/ou populiste de certains Etats membres au Conseil de l’UE. Le nombre de syndicats à la Commission européenne ajoute à la complexité de la situation. La précarité de l’emploi dans les agences et l’éloignement des organes centraux de l’UE capables (ou désireux) de vérifier la transparence et la gouvernance des nombreux organes décentralisés sont d’autres sources de faiblesse du système européen et du personnel censé le servir.

La clé du succès du dialogue social a été la détermination de l’Union Syndicale et de ses partenaires à passer à l’action chaque fois que cela était nécessaire, y compris par des grèves (voir les processus de ” réforme ” de 2004 ou de 2014). La paix sociale a été, et est toujours, le principal atout que les sections de l’USF et leurs partenaires syndicaux locaux peuvent apporter à la table des négociations. Les employeurs ont régulièrement besoin d’un rappel de la valeur additionnelle de la paix sociale.

Une détermination syndicale forte ne suffit pas à maintenir le profil d’un partenaire social pleinement compétent. Nos homologues ont pris les sections de l’Union Syndicale au sérieux, compte tenu également du respect constant par l’USF de valeurs fondamentales communes : la lutte pour une gouvernance européenne saine et démocratique au service de tous les citoyens, de tous les pays membres, y compris les plus petits, l’ouverture en tant qu’employeur également accessible à tout citoyen qui se qualifie pour le recrutement par le biais de procédures équitables et transparentes, la détermination à trouver le juste équilibre entre la procédure législative de l’UE et le respect de l’autonomie des Etats membres (subsidiarité, une valeur fondamentale que l’USF respecte également au niveau interne).

La fameuse “Méthode salariale”, un concept très bien pensé initié par l’USF, est toujours un pilier du programme social des institutions de l’UE. Les commentaires hostiles dans les médias à l’encontre de la “Méthode” s’épuisent au plus tard lorsque la situation financière d’un État membre particulier ou d’une période particulière est citée, alors que les effets d’équilibre positifs et négatifs ont déjà été consacrés et appliqués dans le processus d’adaptation des salaires.

L’USF a atteint de nombreux autres objectifs essentiels : il y a des décennies, l’internalisation des tâches des institutions de l’UE qui étaient auparavant effectuées par des bureaux privés à Bruxelles avec des conditions de travail déplorables, le principe de l’accumulation de points d’ancienneté dans le système de carrière ou l’inclusion de la législation européenne universelle en matière de santé et de sécurité dans l’article 1e, paragraphe 2, du statut du personnel.

Ludwig Schubert, le concepteur de La Méthode

La fameuse “Méthode salariale”, un concept très bien pensé initié par l’USF, est toujours un pilier du programme social des institutions de l’UE

Une caractéristique unique et remarquable de l’USF par rapport à d’autres syndicats dans nos institutions est sa présence dans des organisations au-delà de la “famille” institutionnelle de l’UE, sa présence dans des organisations internationales non créées par un acte législatif de l’UE. Ces organisations ne cessent de pousser leur besoin (parfois allégué) d’autonomie et d’indépendance jusqu’à prendre des mesures inacceptables à l’encontre des membres du personnel, en dehors de tout recours légal. L’événement le plus marquant a été le licenciement d’un fonctionnaire du SUEPO à La Haye (2015) qui était également un représentant élu du personnel à l’Office européen des brevets. Cette action s’est accompagnée de limitations sévères du droit de grève à l’OEB et d’autres comportements hostiles de la part de la direction. Dans cette situation, dramatique pour l’ensemble du personnel de l’OEB, la FSESP a cosigné une lettre soulevant la question des droits fondamentaux sur le territoire néerlandais avec le syndicat néerlandais de la fonction publique AbvaKabo et l’a adressée au Premier ministre Rutte. Cette action et d’autres actions de la FSESP ont démontré la solidarité avec l’USF au niveau le plus élevé que l’on puisse imaginer.

Une autre caractéristique remarquable de l’USF est son affiliation à la famille de la CES par le biais de son affiliation à la FSESP. Au-delà des racines fournies à l’USF, de l’alignement sur les questions politiques fondamentales à partager avec tous les employés des services publics en Europe, de l’aide et du soutien dans les situations difficiles, l’affiliation à la FSESP a également déclenché des synergies dans des domaines d’intérêt commun (dialogue social sectoriel, numérisation…).

En substance, l’USF a fait preuve de sagesse : L’USF a fait preuve de sagesse en défendant les valeurs fondamentales à la fois de tous les collègues de tous les grades et de toutes les nationalités et les valeurs fondamentales de l’Union européenne, avec un bénéfice évident pour tous les États membres et tous les citoyens. La paix et la prospérité en Europe sont le résultat de plus de six décennies basées sur la coopération européenne et la recherche d’un traitement équitable du personnel au service de l’UE. En exerçant sa solidarité interne et externe et en respectant les valeurs fondamentales et les contraintes de l’UE, l’USF a apporté sa contribution à la construction historique de l’UE.

Une image trop positive à la lumière de la perception générale et contemporaine de l’UE par les médias contemporains, qui est parfois négative ?

Peut-être, mais les fondamentaux de l’UE méritent toujours d’être rappelés. La liberté de circulation des travailleurs et des citoyens, l’État de droit, l’utilisation de la même monnaie et du même système de téléphonie mobile, la protection des travailleurs à l’échelle de l’UE sont des témoignages en partie anecdotiques mais évidents des mérites de cette coopération européenne pacifique née après les désastres du 20e siècle, une coopération unique dans l’histoire.

La question de la prospérité est en effet discutable, car les riches et les entreprises ont probablement davantage profité de l’efficacité accrue que le travailleur européen moyen au cours des dernières décennies. Les questions sociales restent en effet en retrait par rapport à la législation visant à faciliter la vie des entreprises privées.

Les divers scandales ajoutent au scepticisme à l’égard des mérites de la construction européenne : récemment, le “Qatargate”, les problèmes de portes tournantes dans l’encadrement supérieur, les problèmes de harcèlement et d’autres scandales appellent à la détermination des institutions et des syndicats à poursuivre et à développer le projet de l’Union européenne dans l’intérêt de tous les citoyens européens. Les institutions européennes doivent obtenir de meilleurs résultats que n’importe quelle administration nationale ou municipale en termes de transparence et de bonne gouvernance. Mais nous devons également reconnaître les lacunes découlant d’un comportement humain douteux et les distinguer de la structure fondamentalement bénéfique de l’UE qui sert des millions de citoyens et de travailleurs européens. Ce qui nous amène à nous pencher sur nos défis futurs.

La seule réponse possible à tous les scandales ou défaillances dont nous avons connaissance est la prévention, une gouvernance solide et transparente. Avec le Mouvement européen (auquel l’USF est affiliée), nous appelons tous les acteurs politiques à promouvoir des politiques pour l’Europe guidées par l’état de droit. Le rôle du Parlement européen et l’équilibre avec les autres institutions ne correspondent pas encore tout à fait au niveau de contrôle et d’équilibre des systèmes de gouvernance nationaux arrivés à maturité. Cette situation doit encore évoluer.

Néanmoins, un système législatif commun capable d’élaborer un consensus et d’imposer ensuite, par le biais d’une Cour (la CJCE), le respect de tous les accords doit être considéré comme supérieur à la myriade de relations bilatérales nécessaires qui ont échoué de manière dramatique au cours de la première moitié du 20e siècle. Il ne faut pas oublier que chaque acte législatif de l’UE remplace un résultat consensuel à élaborer entre 26 États membres, c’est-à-dire 26 fois 25 divisé par 2, puisque les relations sont bilatérales, soit un total de 325 relations de travail réussies.

Au niveau interne, plusieurs défis attendent l’action de l’USF et d’autres syndicats. La précarité et les systèmes de carrière arbitraires avec des goulets d’étranglement menacent la capacité de l’UE à recruter et à retenir les meilleurs candidats. Des écarts peuvent apparaître à tout moment entre le statut du personnel et la législation générale de l’UE en matière de travail et d’affaires sociales. Ces disparités dans le statut doivent être exclues a priori par l’application par défaut de la législation sociale et du travail de l’UE en tant que norme minimale. Les affaires de travail interne devant la CJCE révèlent de plus en plus un écart de niveau judiciaire par rapport aux travailleurs dans le contexte national et appellent à des chambres spéciales de la CJCE dédiées aux affaires sociales et de travail. En outre, il est totalement inacceptable de faire supporter aux particuliers les coûts élevés des cabinets d’avocats externes qui défendent les “institutions” devant les tribunaux. L’USF a déclenché une jurisprudence essentielle en soutenant et en cofinançant des recours importants, mais les particuliers ont eux aussi besoin d’un système judiciaire moderne et accessible. Les faiblesses des systèmes législatifs et judiciaires des organisations internationales non-membres de l’UE nécessitent également une mise à niveau substantielle et une limitation effective des effets injustifiés des immunités de juridiction de ces organisations.

Le télétravail et la numérisation font partie des grands défis de l’avenir. Nous ne savons pas encore exactement quel est l’impact du télétravail sur les relations sociales et professionnelles, sur la santé et la sécurité des employés (mots clés : bruit toxique, isolement social, surcharge de travail, mauvaise ergonomie du lieu de travail à domicile et en cas de hot-desking…). La participation totale des syndicats ou des représentations du personnel au niveau approprié dans cet environnement de travail inévitablement sectoriel n’est pas encore réalisée, mais elle est nécessaire car les avantages potentiels du télétravail dépendent en grande partie de la nature des tâches individuelles. La durabilité est un autre défi important, de même que la lutte contre la précarité et la formation de nouveaux militants syndicaux de la jeune génération.

L’USF est prête à participer à ce processus. Les résolutions du Congrès 2023 de l’USF à Alicante constituent un premier pas. La “Déclaration d’Ispra” lors de l’acte fondateur de l’USF il y a cinq décennies est toujours valable et constitue notre principale orientation pour l’avenir. Contre vents et marées, l’Union européenne et ceux qui servent ces institutions sont toujours la clé de la paix et de la prospérité pour tous les citoyens et tous les États membres de l’UE.

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Peter Kempen

A PROPOS DE L’AUTEUR

Secrétaire générale d’USF (SUEPO-Berlin)