Précarité et ses conséquences sur le personnel

Précarité et ses conséquences sur le personnel

Agora #87
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La précarité signifie, pour la majorité d’entre nous : contrats à durée déterminée et/ou faibles revenus. Un employé précaire est prêt à accepter tout et n’importe quoi.

La précarité signifie, pour la majorité d’entre nous : contrats à durée déterminée et/ou faibles revenus. Du point de vue de l’employeur, cela représenterait une proportion grandissante de contrats à durée déterminée, des économies, ou encore, une plus grande flexibilité (en théorie au moins). Cette flexibilité fait écho aux craintes de l’employé précaire qui est dans l’incertitude du prolongement éventuel de son contrat ou de l’évolution de sa carrière ; dans le cas d’un employé précaire à bas revenu, de son souhait de progresser rapidement pour gagner plus. Bref, un employé précaire est prêt à accepter tout et n’importe quoi.

Il se crée par ailleurs une compétition malsaine entre l’employé précaire et le personnel permanent. Beaucoup pensent que ce personnel permanent est bien loti, chanceux et ne devrait pas se plaindre. Ce seraient des « nantis ». Ce n’est évidemment pas le cas !

Nous allons nous pencher en particulier sur le personnel permanent des institutions européennes soumis au Statut du fonctionnaire des « catégories » AST et AST/SC (voir ci-dessous). Tout d’abord, un mot d’explication sur les acronymes propres au domaine statutaire (communautaire). En voici une typologie simplifiée :

  • ADAdministrateur fonctionnaire, contrat à durée indéterminée, études universitaires, tâches de conception et/ou de management.
  • ASTAssistant fonctionnaire, contrat à durée indéterminée, études secondaires, tâches d’assistance et de mise en œuvre.
  • AST/SC*Assistant/commis fonctionnaire, contrats à durée indéterminée, études secondaires, tâches de secrétariat.
  • ACAgent Contractuel, contrat à durée déterminée (essentiellement), tous niveaux d’études, tous types de tâches.
  • ATAgent Temporaire, contrat à durée déterminée (essentiellement), tous niveaux d’études, tous types de tâches.

La diminution de la proportion des AST au sein des institutions est très marquée ces dernières années. Par ailleurs, la proportion des employés précaires (AC, AT) augmente lentement (environ 20% aujourd’hui). Pour le personnel permanent (AD, AST, AST/SC), les chiffres sont les suivants :

  • AD 2009-2021: 53,5% => 65%
  • AST 2009-2021: 46,5% => 28,5%
  • AST SC 2014-2021: 0 => 6,1%

 

* Il s’agit d’une version allégée et surtout moins chère d’assistant/secrétaire à contrat permanent. Elle a été légalement créée en 2014. Les salaires en début de carrière sont proches des salaires minimum / « sociaux » nationaux de certains lieux d’affectations.

Qu’y a-t-il derrière ces chiffres ou au-delà de ces chiffres ? Voici l’analyse d’un point de vue de la Commission, l’institution la plus importante en nombre de collègues. On s’aperçoit que les postes AST sont lentement ‘échangés’/’transformés’ en postes AD. Ceci est également accompagné d’une évolution de la distribution des types de tâches. En effet, les AD se focalisent en théorie sur le raisonnement et le management, les AST sur la production. Cependant, en pratique, on constate un mouvement croissant de transfert de tâches AD vers les AST et même dans certains cas, nous assistons à l’inverse. Nous constatons en effet que de plus en plus d’AST et même d’AST/SC ont très formellement reçu des tâches de management d’équipe et/ou de projets, reléguant par-là la fonction de production aux AC ou aux contractants « extérieurs ». Nous avons également observé que des AC et AT (contrats non permanents) prennent de plus en plus de tâches de conception et de management. De fait, les collègues AC (dans une moindre mesure, les AT) sont des « compétiteurs » directs (effectuant pour une grande part les mêmes tâches et endossant les mêmes responsabilités) des collègues AST et AST/SC. Un vrai mélange de genres qui brouille sérieusement les références et la définition essentielle de qui est censé faire quoi, avec quel niveau de responsabilités et avec quel salaire. La base légale (le Statut) couvre ces éléments et n’est de fait pas respectée. Globalement, nous constatons un nivellement par le bas. Les AST et AST/SC subissent un décalage entre leur grade (les types de tâches prévues au Statut) et les tâches réellement exercées (bien supérieures à celles prévues au Statut).

Dans les faits, la Commission européenne applique la politique du recrutement minimum, c’est-à-dire, au grade le plus bas et au moindre coût. Elle tire le maximum des rares postes et des maigres crédits en ressources humaines dont elle dispose. Nous sommes de fait face à un « dumping social », lié au manque de ressources (financières et humaines) qui touche les précaires, mais aussi les AST et AST/SC. En effet, ces derniers peuvent occuper des postes à responsabilités plus élevées que leur grade sans que leurs compétences soient formellement reconnues. Les cas où les collègues AST concernés bénéficient d’un avancement de carrière plus rapide existent, mais sont rares. Par ailleurs, il n’existe pas de différences entre les tâches de secrétariat effectuées par des AST/SC ou des AST ; cependant, leurs salaires et marges de progression sont totalement différents. On note ainsi un problème de fond : la non reconnaissance des tâches supplémentaires, en quantité ou de niveau supérieur, acceptées formellement ou informellement sous promesse d’une éventuelle promotion, attestation ou certification. Ce sont trois moyens statutaires d’évolution de carrière, le quatrième moyen étant le concours interne de passage de catégorie, dont l’existence ou la mise en œuvre est pratiquement anecdotique tant il y en a peu ou presque plus. Les carrières AST et AST/SC sont limitées par le Statut (Annexe IB :  le grade SC6 est rapidement atteint et un blocage subsiste en AST7 et AST9). Enfin, les collègues AST exercent souvent, de fait, des métiers et présentent des compétences spécifiques (à l’instar des métiers de l’Office des Publications) et éprouvent des difficultés à changer de poste, comme l’a prouvé un exercice de mobilité sur Luxembourg, qui a profité à très peu de collègues.

Très logiquement, devant cette situation, de nombreux collègues AST et AST/SC progressent dans leur carrière par le biais de concours externes car il s’agit souvent de la seule solution aux blocages ou à une vraie reconnaissance de leurs compétences/niveau de responsabilités. D’autres se pressent vers un départ à la pension le plus tôt possible.

Actuellement, un nouveau modèle de recrutement du personnel permanent semble se mettre en place : d’une part, le Junior Professional Programme (JPP) et d’autre part, la réforme annoncée d’EPSO (office inter-institutionnel de recrutement) qui laissent présager que ce nouveau modèle va s’étendre. Le JPP, qui est concrètement mis en œuvre depuis 2018, donne accès en priorité et sans concours à d’anciens stagiaires ‘blue-book’ – donc typiquement des jeunes avec très peu d’expérience (impliquant donc une discrimination à l’âge) – et auxquels on propose un contrat qui évolue à terme vers un poste de fonctionnaire AD (et donc vers un emploi permanent).

L’accès des Agents Contractuels, Agent Temporaires, AST ou AST/SC à ce programme de carrière est limité, voire inexistant. Inconvénient majeur de ce nouvel outil ? L’âge des candidats. Ce modèle, que la HR semble vouloir pérenniser comme un nouveau moyen de recruter au moindre coût, et en même temps de s’assurer une fidélité renforcée des AD, discrimine malheureusement une partie du personnel. Cette apparente évolution mise à part, la situation des AST ne bénéficie d’aucune amélioration, bien au contraire. C’est un constat indéniable et triste.

Les AST n’ont pas de perspectives de carrière (taux de promotion notamment plus faible que les collègues AD) et ne bénéficient certainement pas de la même attention que les AD de la part de l’Administration de la Commission. On peut résumer la situation des AST, AST/SC en un groupe de collègues qui exécutent de plus en plus de tâches, se voient confier de plus en plus de responsabilités mais sans être reconnus à leur juste niveau d’investissement. Ils sont pris en tenaille entre les collègues AD d’un côté et les collègues AC et AT de l’autre. La Commission a en effet tout investi pour les AD PERMANENTS et les AC (et dans une moindre mesure, les AT) A CONTRAT PRECAIRE en abandonnant les AST et les ATS/SC PERMANENTS.

Dans le cadre de l’avancée de la précarisation motivée par des économies et une flexibilité théorique, il est logique de penser que la catégorie AST est vouée à disparaître. Que l’intention existe ou non, ce sont bien les AST (et les quelques AST/SC) qui mettent en œuvre la majorité des tâches décidées par le management de l’Institution (à la Commission certainement et, dans une mesure variable, aussi dans d’autres institutions statutaires). Ce sont eux aussi qui subissent les difficultés énoncées. Le sort de ces collègues constitue dès lors, a minima, une conséquence collatérale majeure de la précarisation des emplois. Leur statut d’employé permanent ne justifie en rien qu’on ne s’y intéresse pas, bien au contraire.

Arty Kyramarios

A PROPOS DE L’AUTEUR

Belgo-grecque ; né, élevé et éduqué à Bruxelles. Travaille actuellement à la Commission européenne (Eurostat) à Luxembourg. Actif depuis 2001 dans diverses organisations membres de l’USF. Actuellement actif dans l’organisation membre USFL (Vice-président) et dans le Comité local du personnel de la Commission à Luxembourg (Président).

Isabelle Wolff

A PROPOS DE L’AUTEUR

Isabelle travaille à l’Office des Publications à Luxembourg. Elle est membre de l’USFL (Vice-Présente) et du Comité Local du Personnel de la Commission à Luxembourg (Vice-Présidente).