La vie (pas si idyllique) des agents en délégations et le rôle du chef d’administration
Ah, la vie en délégation sous les Tropiques…étendu(e) sur un transat, au bord d’une piscine ou de la mer, les doigts de pieds en éventail, le soleil brillant, un verre à la main…
Une image idyllique qui semble ancrée dans l’esprits de nombreux collègues au siège. Et pourtant, combien de fois n’ai-je pas eu aussi cette réflexion mais tu n’es pas plus bronzée que ça en travaillant en Afrique ? Et non, il est difficile de bronzer sous les néons des bureaux… Car oui, nous TRAVAILLONS en délégation.
Alors certes, la vie en délégation présente des avantages pour celui qui aime le dépaysement et le changement : de nouveaux horizons (cependant rarement semblables à celui des cartes postales) tous les trois à six ans, une solidarité entre collègues sans doute plus forte, de nouvelles rencontres, l’apprentissage de cultures différentes, une approche de terrain couplée à la possibilité d’agir concrètement…
Mais elle présente également de nombreuses difficultés qui demandent flexibilité, adaptabilité et résilience. Ainsi, vous constaterez qu’en délégation, la frontière entre vie professionnelle et vie privée devient très mince. Nous sommes souvent logés avec ou près de nos collègues et chefs dans des compounds afin de faciliter les rassemblements en cas de crise. La vie avec les collègues dépasse donc souvent la seule vie au bureau. Et il ne sera donc pas impossible que votre chef vous voie un jour en maillot de bain (certes cela signifie qu’il fait beau mais c’est aussi parce que les endroits où aller sont limités et vous serez donc inévitablement confrontés à tomber régulièrement sur vos collègues et partenaires de travail dans tous les endroits de vie habituels – salles de sport, piscines, restaurants, magasins…)
C’est apprendre à passer une soirée ou même un week-end sans eau et/ou électricité parce que le réseau public a planté et que vous n’avez pas toujours de back-up – ou que ce back-up a lui-même lâché – on est bien loin de la fiabilité d’approvisionnement connue en Europe. Nos enfants, d’ailleurs, ne réagissent même plus quand tout à coup on se retrouve dans le noir en plein milieu d’un film ou du repas.
C’est supporter les embouteillages des mégapoles africaines, sud-américaines et asiatiques où vous êtes littéralement prisonniers de votre moyen de transport (impossible d’ouvrir vos portières tant les voitures sont collées les unes aux autres – mieux vaut ne pas être claustrophobe) et la pollution de l’air qui en découle impacte votre santé.
C’est la crainte de connaître un problème de santé vu l’état des services sanitaires de ces beaux pays exotiques.
C’est savoir adapter ses choix à l’offre du marché plutôt que l’inverse : vous ne décidez pas ce que vous allez manger au soir, c’est l’offre du supermarché qui vous dictera votre repas – et son prix. Parfois, pour quand même vous faire plaisir ou gâter vos enfants, vous accepterez de payer un prix effarant pour certains produits (un ravier de fraises ou six yaourts de qualité douteuse à 15€-20€ ou une boîte de céréales à 10€-15€). Parfois, vous n’aurez pas le choix : le papier toilette ou produit lessive (connu) qui coûtent souvent les yeux de la tête dans des pays qui importent toutes leurs denrées. Et ceci en suivant le fameux ratio au plus ça prend de la place dans l’avion, au plus c’est cher.
En dehors de ces éléments liés au pays, la gestion par la Délégation d’un certain nombre d’aspects de votre vie peut rendre votre vie… infernale. Il faut notamment savoir qu’en délégation, plusieurs choix de vie, normalement privés, ne seront plus de votre seule volonté, notamment le logement. Selon une détermination établie par le siège pour laquelle vous n’aurez rien à dire :
- Soit on vous appliquera le fameux article 23 (les amis en délégation comprendront… les autres, il faudra aller voir l’annexe 10 du statut) et on vous assignera une aire dans laquelle vous pourrez choisir votre logement, qui devra néanmoins encore passer certains contrôles de sécurité pour être validés et qui devra se situer sous un plafond de prix déterminé par le siège, parfois en dehors de toute rationalité.
- Soit on vous appliquera le tout aussi fameux article 5 et on vous assignera d’office un logement dont la délégation sera officiellement locataire (en signant le bail pour vous), ne vous donnant dès lors aucun statut sur le contrat sauf celui d’« occupant/e »- ceci vous sera rappelé par le propriétaire chaque fois que vous voudrez discuter avec lui. Et là, vous comprendrez l’importance d’avoir un « bon » chef d’administration. Vous vous rendrez compte que ce sont ses standards qui guideront et deviendront désormais vos standards de vie ; que c’est de sa volonté et/ou de sa compétence que vous passerez ou non un bon séjour pour le temps de votre affectation. Si vous avez un chef d’administration avec des critères bas (ben oui c’est l’Afrique non ?) ; peu de volonté/force/compétence ; voire s’il est lui-même en situation de quasi burn-out, votre vie peut devenir un enfer…