Précarité au sein de l’Office Européen des Brevets

Précarité au sein de l’Office Européen des Brevets

Agora #87
13-16

Alerte sur la précarité qui semble s’immiscer au sein de l’Office européen des brevets, et cela, depuis quelques années.

Avec environ 95 % de personnel permanent et « seulement » environ 5 % d’employés à durée déterminée, l’Office européen des brevets (OEB) semble jouir, de l’extérieur, d’un « splendide isolement » par rapport à la plupart des autres organisations internationales et européennes. Cependant, comme c’est souvent le cas avec les chiffres, ceux-ci ne disent pas tout et d’un point de vue interne, les conditions d’emploi et leurs récentes évolutions à l’OEB ne semblent pas si « isolées » et encore moins « splendides ».

En raison des compétences techniques et juridiques hautement spécifiques demandées à la majorité du personnel de l’OEB, il a longtemps été considéré que les contrats à durée déterminée n’étaient pas la forme d’emploi appropriée pour cet Office. La nécessité d’une formation longue et approfondie des nouveaux employés est une condition « sine qua non » pour délivrer des brevets de qualité. Cet investissement nécessaire en temps et en ressources pourrait être perdu pour l’organisation si les contrats à durée déterminée devenaient la norme, sans parler des connaissances accumulées et partagées par le personnel nouvellement recruté. En outre, au niveau individuel, un « syndrome de la cage dorée » existe à l’OEB, car après quelques années d’emploi, le personnel tend à se spécialiser dans le domaine des brevets et perd son expertise globale. L’expertise dans le domaine des brevets n’est pas facilement reconnue dans d’autres domaines. Le personnel quittant l’OEB après quelques années d’emploi pourrait avoir beaucoup de mal à trouver un emploi ailleurs à des conditions comparables. Ces considérations étaient valables dans le passé et le sont toujours aujourd’hui.

L’introduction en 2018 de contrats à durée déterminée[1] comme norme pour les employés nouvellement recrutés, renouvelables jusqu’à une période de 10 années consécutives, a créé une nouvelle situation qui va à l’encontre de ces considérations. Si à l’heure actuelle, principalement pour des raisons budgétaires et de contingence, seulement 5% de l’effectif total de l’OEB est composé d’employés à durée déterminée, la limite supérieure actuelle de 20% d’employés à durée déterminée (sur l’ensemble de l’effectif combiné à ladite durée, prolongée de 10 ans) ne présage rien de bon pour l’avenir des conditions d’emploi du personnel et l’avenir de l’OEB.

Un projet de circulaire visant à clarifier ces règlements est actuellement en discussion. Bien qu’il semble y avoir quelques améliorations positives mineures, les questions les plus importantes en jeu, en particulier la durée maximale de 10 ans pour les contrats fixes, n’ont pas été abordées de manière positive comme le demandaient l’US-OEB et la représentation du personnel. Un nouveau document d’orientation concernant les stages de courte durée, l’emploi et la mobilité interne mais aussi externe, est également en cours de discussion.

[1] Modernisation du cadre d’emploi de l’OEB, CA/3/18, 23.02.2018

Contexte historique

Avant 2018, il y avait 3 types de contrats à durée déterminée à l’OEB et le pourcentage total du personnel sous ces contrats était limité à 5% de l’effectif global.

  • Contrats Euro[1]
  • Introduits en 1992.
  • Durée maximale de 5 ans, plus exceptionnellement une prolongation de 2 ans.
  • Pour répondre à une pénurie de personnel temporaire pour l’exécution de tâches occasionnelles…
  • Contrats non renouvelables (CNR)[2]
  • Introduit en 2009.
  • Durée d’au moins 6 mois et tout au plus de 3 ans.
  • Pour l’exécution de tâches de courte durée ou pour remplacer du personnel pour une durée limitée.
  • Contrats de cinq ans pour les cadres supérieurs (Directeurs principaux et vice-présidents).

En octobre 2017, la direction de l’OEB a entamé une réflexion et une discussion sur l’élargissement du recours aux contrats à durée déterminée. Après de nombreuses réitérations et malgré l’opposition de l’US-OEB, de la représentation du personnel et de certaines délégations nationales, le Conseil d’administration a approuvé en mars 2018 une proposition d’introduction de contrats à durée déterminée[3]. En vertu de cette nouvelle réglementation actuelle, tous les nouveaux arrivants des groupes d’emplois 4-6, c’est-à-dire les groupes d’emplois non-managériaux, se voient de facto proposer des contrats à durée déterminée d’une durée maximale de 5 ans, avec la possibilité d’être renouvelés jusqu’à un total de 10 années d’engagement à durée déterminée consécutives.

La proportion de personnel sous contrat à durée déterminée est limitée à un maximum de 20% du total des postes. Il n’y a aucune obligation de la part de l’OEB de convertir un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée.

[1] À partir d’avril 2018, le personnel ne pourra plus être recruté dans le cadre de contrats Euro.

[2] Depuis avril 2018, le personnel ne peut plus être recruté dans le cadre du CNR.

[3] Modernisation du cadre de l’emploi de l’OEB, CA/3/18, 23.02.2018.

Préoccupations et problèmes

Avant d’entrer dans une analyse détaillée de ces questions, il est instructif d’énumérer les préoccupations exprimées par de nombreuses délégations nationales au sein du Conseil d’administration à l’époque.

Les principaux points de critique de la proposition étaient les suivants :

  • L’absence d’une véritable analyse de l’impact financier, en particulier des coûts de formation.
  • Le manque d’urgence, puisque le plafond de 5 % autorisé n’était pas atteint à ce moment-là.
  • La difficulté pour les examinateurs désignés de trouver un emploi à la fin de leur contrat.
  • L’atteinte à l’image de l’OEB en tant qu’employeur.
  • L’atteinte aux relations de travail.
  • Les risques pour la motivation et l’engagement du personnel pour une qualité élevée à long terme.
  • Le risque d’une diminution de la charge de travail entrante pourrait être abordé par d’autres moyens.
  • Les contrats à durée déterminée de 10 ans sont excessivement longs.
  • Le profil des examinateurs n’est pas similaire à celui des employés d’autres organisations internationales faisant l’objet d’une évaluation comparative.

Tous ces points de vue, partagés par l’US-OEB et la représentation du personnel, contredisent les mantras de l’administration de l’OEB, tels que :

  • Nous avons besoin de contrats à durée déterminée pour minimiser les risques pour l’OEB et pour garantir sa durabilité financière et sociale.
  • D’autres organisations internationales ont également des contrats à durée déterminée.
  • Nous avons besoin de contrats à durée déterminée pour motiver les gens.
  • La jeune génération veut des contrats à durée déterminée.
  • Les temps changent, les choses s’accélèrent, nous devons rester compétitifs.

Concernant cette dernière affirmation, il convient de noter que de nombreux pays ayant des règles strictes en matière de contrats à durée déterminée s’en sortent bien, parfois mieux que d’autres.

Un groupe de travail dédié entre la représentation du personnel et l’administration de l’OEB a été mis en place en janvier 2021, afin de préciser les modalités et les mécanismes permettant de fixer des règles transparentes pour la prolongation/conversion des contrats à durée déterminée. En conséquence, un projet de circulaire est en cours de discussion. La représentation du personnel a été très active au sein du groupe de travail et a publié de nombreux articles tout au long du processus[1]. Dans son analyse, la représentation du personnel a constaté que les contrats à durée déterminée suscitaient de graves préoccupations :

  • Ils représentent la fin du sentiment du « nous » et « ensemble » à l’OEB.
  • Les contrats à durée déterminée réduiront l’engagement et la collaboration, ce qui contraste fortement avec l’objectif 1 du plan stratégique 2023 de l’OEB.
  • L’insécurité de l’emploi augmentera le stress et aura un impact psychosocial sur le personnel.
  • Les contrats à durée déterminée réduisent l’attrait de l’OEB, comme le suggère la diminution des demandes d’emploi au cours des dernières années.
  • L’OEB est devenu le meilleur office des brevets au monde grâce à son paquet social et cela a entraîné un sentiment généralisé de fierté et d’appartenance dû au fait d’y travailler. Les contrats à durée déterminée vont ruiner le paquet social et ces sentiments de fierté et d’appartenance.
  • Il est impossible de planifier sa vie pour les quelques années à venir si votre contrat est sur le point d’expirer. En particulier, il est extrêmement difficile d’obtenir un prêt hypothécaire avec un contrat à durée déterminée et de trouver une bonne école pour les enfants pour une période limitée à quelques années seulement.

La principale source de préoccupation de la représentation du personnel est toutefois la durée possible de 10 ans du contrat à durée déterminée, qui est considérée comme beaucoup trop longue.

Tous ces problèmes et motifs de préoccupation ne concernent actuellement « que » 5 % de l’effectif total, principalement en raison du faible recrutement de ces dernières années. Compte tenu de la charge de travail à venir et de la structure d’âge du personnel de l’OEB, il ne faudra pas longtemps avant que les employés sous contrat à durée déterminée n’atteignent 20 % de l’effectif total. Cela pourrait avoir un impact déstabilisant sur la structure sociale et de travail de l’OEB, ainsi que sur sa durabilité à long terme.

[1] « Sur les contrats à durée déterminée », parties A-D ; Comité central du personnel, 30.10.2020 – 25.05.2021.

Une proposition de la représentation du personnel

Afin de tempérer les préoccupations susmentionnées, la représentation du personnel a fait une proposition[1] au groupe de travail, sur la base des réactions des collègues sous contrat à durée déterminée.

Dans cette proposition, la représentation du personnel s’est donnée beaucoup de mal pour tenter de parvenir à une solution équilibrée qui garantisse la durabilité et la flexibilité à long terme tout en atténuant les effets des contrats à durée déterminée. La proposition est conforme aux objectifs du Plan stratégique 2023 et favorise certaines des valeurs fondamentales de l’OEB : l’équité, la confiance et la collaboration.

Les principaux points de la proposition sont les suivants :

  • 5 ans, c’est suffisant : après 5 ans, la conversion devrait être la règle, la prolongation l’exception; les contrats de 5 ans offrent suffisamment de flexibilité pour la planification.
  • Délai de préavis d’un an pour la décision de conversion et de prolongation : il réduit indirectement le roulement du personnel et constitue une condition importante pour une bonne planification de la vie privée.
  • Transparence et clarté : des critères et processus transparents et clairs doivent être implémentés pour la conversion/extension ; il faut impliquer la représentation du personnel dans le processus.
  • Équilibre des intérêts : l’intérêt de l’employé doit également être pris en compte, et pas seulement l’intérêt de l’organisation.
  • Égalité de traitement : il ne peut pas y avoir de pression indue à l’encontre des collègues sous contrat à durée déterminée; ces derniers doivent avoir le sentiment de faire partie de l’organisation.

Ces différents éléments sont également conformes aux principes généraux relatifs aux contrats à durée déterminée mis en évidence par la jurisprudence internationale[2] (TAOIT, CJUE, etc.).

[1] « Sur les contrats à durée déterminée », partie D ; Comité central du personnel, 25.05.2021.

[2] Ulrich, Gerhard. Le droit de la fonction publique internationale : Droit institutionnel et pratique dans les organisations internationales, Duncker & Humblot, 2019. ProQuest Ebook Central, pp 210-213.

Autres formes de précarité à l’OEB

Outre les contrats à durée déterminée, il existe d’autres formes de précarité à l’OEB qui devraient être mentionnées et qui ont tendance à passer inaperçues. Je fais principalement référence au stage professionnel paneuropéen du Sceau, destiné à offrir aux diplômés universitaires performants la possibilité d’apprendre, de développer leurs compétences et d’accroître leur employabilité.
Ce programme existe depuis 2015 et a été accueilli positivement jusqu’à présent. Dans un récent projet de document d’orientation sur la mobilité professionnelle, il est proposé de remplacer le programme du Sceau paneuropéen par le programme Jeunes professionnels, qui vise à améliorer considérablement ce programme de stage existant, en l’orientant vers une approche du premier emploi.
Les détails de ce nouveau programme ne sont pas encore totalement connus. L’US-OEB et la représentation du personnel suivront de près les discussions et les développements à ce sujet. Une autre forme de précarité, malheureusement hors du champ et de la compétence de l’US-OEB et de la Représentation du personnel, est le cas des employés de sociétés externes travaillant pour l’OEB. Le statut du personnel de l’OEB ne s’applique pas à ces employés.
La question est particulièrement importante dans le département informatique, qui emploie souvent des contractants externes. Il existe des cas signalés d’employés de ces contractants qui avaient des contrats fixes d’un an, renouvelés par les contractants chaque année pendant plus de 10 ans.

Conclusions

Bien que la précarité et les contrats à durée déterminée ne concernent « que » 5% de l’ensemble des effectifs de l’OEB actuellement, les prévisions indiquent que ce chiffre va fortement augmenter dans un avenir proche. Étant donné la nature spécifique du travail effectué à l’OEB, une augmentation substantielle des contrats à durée déterminée pourrait avoir un effet déstabilisant sur l’organisation et sa durabilité à long terme. Les conséquences de la crise du COVID, la nouvelle normalité et la situation internationale dramatique actuelle ajoutent clairement une autre couche d’imprévisibilité.

Roberto Righetti

A PROPOS DE L’AUTEUR

Membre du Bureau Fédéral USF et Membre du Bureau SUEPO-TH.