L’euro est appelé à durer et pourtant la Banque centrale européenne (BCE), comme beaucoup d’autres organisations internationales, recourt intensément à l’utilisation de contrats temporaires (et à la chaîne). C’est tout un paradoxe pour une institution dont le rôle principal est de favoriser la stabilité.
Contrats temporaires à la BCE
Preuve qu’il n’y a pas de quoi être fier de la situation, la BCE ne communique plus au public les chiffres relatifs à la proportion de contrats temporaires dans ses effectifs. Selon les sources de l’IPSO, la part des contrats permanents dans l’effectif « officiel » total (c’est-à-dire sans tenir compte des fonctions permanentes confiées à des tiers, comme le service d’assistance, les agents de sécurité, les traiteurs, etc.) s’élève à environ 55%. L’ajout des travailleurs externalisés ramènerait ce chiffre à environ 40 %. Les stagiaires représentent 10 % des effectifs de la BCE. Le profil d’âge est également intéressant, car ce n’est que vers 45 ans que la part des contrats à durée indéterminée dans les effectifs atteint au moins 75 % du total.
Historique et raisons sous-jacentes
Le recours généralisé aux contrats temporaires a été introduit en 2004, sous l’égide du vice-président Papademos (en charge des RH) qui présidait la « Task Force » des vice-présidents concernant les ressources humaines, pendant le mandat du président Trichet. Jusqu’à cette date, les contrats permanents étaient accordés dès le départ, et les contrats temporaires étaient utilisés pour les besoins de remplacement. À partir de 2004, seuls des contrats à durée déterminée ont été accordés, qui pouvaient être soit convertibles en contrats permanents après 3 ou 5 ans, soit non convertibles du tout. La première raison officielle du passage à ce modèle était de conserver la capacité de l’organisation à ajuster la composition de son personnel en fonction de l’évolution des technologies et des besoins de l’entreprise. La deuxième raison était de simplifier la gestion de la stratégie de licenciement. En effet, par défaut, un contrat temporaire prend fin à l’échéance de son terme. Il n’est pas nécessaire de démontrer que le travailleur ne fournit pas le niveau de performance attendu (si tel est le motif allégué de résiliation), ni de passer par les tracas administratifs d’une procédure de sous-performance. En passant, il convient de signaler que ce modèle de contrat précaire s’étend également au domaine des promotions, où près de la moitié des promotions sont accordées sur une base temporaire – et éventuellement reconduites d’un exercice budgétaire à l’autre – même lorsque le travailleur a un contrat permanent.
Une fois introduits dans le cadre juridique de la BCE, les contrats temporaires ont développé une dynamique propre. L’un des principaux facteurs a été le soi-disant conflit d’intérêts des membres des conseils des gouverneurs de la BCE, qui décident à la fois du budget et des politiques de recrutement de la BCE, tout en dirigeant leur propre banque centrale. En tant que chef de leur banque centrale, ils sont en concurrence avec la BCE pour attirer les talents. Plus les conditions de la BCE sont bonnes, plus il leur est difficile de rester compétitifs. En outre, la centralisation des fonctions monétaires (et, plus tard, de surveillance) se fait également au détriment de leur propre périmètre et de leurs compétences. En un mot, plus la BCE se développe, plus les Banques centrales nationales (BCN) devront se rétrécir. Dès le début, les gouverneurs de la BCE ont donc été incités à réduire autant que possible la croissance de la BCE, en faisant usage de leur prérogative budgétaire et en imposant un plafond à la croissance des effectifs. Ce conflit est à l’origine de nombreux problèmes rencontrés par le personnel de la BCE, qu’il s’agisse du manque d’espace disponible ou du risque élevé d’épuisement professionnel (voir la lettre ouverte écrite par IPSO aux gouverneurs des BCN en 2015). Alors que les effectifs de la BCE étaient théoriquement plafonnés depuis 2004, les besoins n’ont cessé de croître, en particulier, mais pas seulement, à l’occasion de la crise financière de 2008. Par conséquent, l’un des moyens de financer ces besoins en personnel sans augmenter les effectifs a été de recourir à des contrats temporaires « hors bilan », qu’il s’agisse de personnel intérimaire, de contractants, de contrats à court terme, de contrats à durée limitée basés sur des projets, etc.