Au cœur des institutions européennes, où sont prises des décisions cruciales et engageantes pour la vie et l’avenir de millions de citoyens européens, une question est souvent négligée : celle de la diversité sociale des fonctionnaires et autres agents en service dans les différentes Institutions et Agences de l’U.E..
Par diversité sociale on entend ici la cohabitation de personnes de différentes origines sociales. L’origine sociale désigne le milieu ou la classe sociale dans lequel une personne est née et qui a façonné ses années formatives de la vie: ses origines, son éducation ou son point de départ dans la vie. Celle-ci ne doit pas être confondue avec le statut socio-économique, qui se réfère plutôt à la position sociale actuelle d’un individu. Ce dernier concept nous intéressera moins ici, dans la mesure où constater l’homogénéité du statut économique des agents de la fonction publique européenne serait une banalité, puisqu’ils appartiennent justement à un même corps professionnel.
Alors que l’Union européenne (UE) est confrontée à des défis sans précédent, qu’il s’agisse de la montée du populisme ou de la crise de confiance des citoyens dans les institutions, il est plus important que jamais d’assurer une représentation socio-économique diversifiée au sein de son personnel. Toutefois, cette question reste largement ignorée dans les stratégies de la Commission européenne en matière de ressources humaines (RH), par exemple.
La composition sociale des fonctionnaires européens (je me réfère ici en particulier aux fonctionnaires de catégorie AD) pose des défis majeurs en termes de légitimité démocratique et de représentativité. En effet, bien que l’absence de données rende le diagnostic difficile, il ne semble pas absurde d’affirmer que l’origine sociale des employés de la Commission est relativement homogène et peu représentative de la société européenne dans son ensemble. L’on pourra évidemment citer de nombreuses exceptions individuelles (encore heureux), mais l’honnêteté force à reconnaître qu’une majorité des collègues que l’on croise au bureau ont grandi dans des milieux à capital économico-culturel relativement élevé. Combien de collègues qui ont été scolarisés au sein des écoles européennes avons-nous croisé ? Beaucoup trop, par rapport à leur poids réel dans la population européenne (il ne s’agit aucunement ici de jeter le discrédit sur les collègues en question, mais plutôt de constater une anomalie statistique dont ils ne sont personnellement pas responsables). Alors que l’UE s’efforce de promouvoir l’égalité des chances et de garantir la participation de tous les citoyens à la vie démocratique, l’absence de diversité sociale au sein de son propre personnel compromet cette mission fondamentale.
Les décisions prises par des personnes issues de milieux socio-économiques homogènes se caractérisent malheureusement souvent par un manque de compréhension des préoccupations et besoins des populations les plus marginalisées et défavorisées. Cette déconnexion peut exacerber les tensions et les divisions au sein de la société, en affaiblissant les fondements mêmes de la démocratie.
Par ailleurs, l’écart entre le niveau de vie des fonctionnaires et les réalités quotidiennes des citoyens peut exacerber les tensions et divisions sociales, minant in fine les fondements démocratiques de l’UE. Une telle déconnexion alimente le mécontentement et le scepticisme envers ces institutions.
Or, la diversification des élites administratives est un élément essentiel à la croisée des idéaux de méritocratie républicaine, de démocratisation et de promotion sociale. Dans l’État membre que je connais mieux (la France), cet objectif se voit même conférer une valeur constitutionnelle, par l’Article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789 : “Tous les citoyens (…) sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents”.