Naissance de l’Union des syndicats au cours du congrès constitutif qui se tient à Bruxelles les 16-17 novembre 1974
Nous sommes à la fin de l’année 1973, des syndicats de la fonction publique européenne ont réussi leur premier pari de création d’une union syndicale interinstitutionnelle à Bruxelles (Création de l’USB voir notre Agora 89). Parallèlement, ils réfléchissent à la création d’une fédération de syndicats qui permettrait d’élargir l’assise syndicale aux autres sites, mais également de mobiliser au sein de organisations internationales implantées dans plusieurs pays d’Europe (OIT, OCDE, OEB, CoE).
La session pré-fédérale d’Agimont (17-18 novembre 1973)
La création de la nouvelle fédération s’est réalisée en plusieurs étapes, avec en toile de fond le 3ème train de la révision du Statut. Pour les syndicats, il est primordial d’avancer unis et avec une position commune adoptée démocratiquement en même temps que le mandat de négociation.
Un groupe de travail est chargé d’analyser le projet de proposition de la Commission et, en même temps, de réfléchir à la meilleure façon de structurer la réponse syndicale. Ce groupe de travail, baptisé « Groupe d’Agimont » se réunit les 17 et 18 novembre 1973 au Manoir d’Agimont dans les Ardennes Belges. Puis, ce groupe remet aux syndicats les conclusions de ses travaux. On constate tout d’abord que le projet de la Commission européenne n’avait pas encore fait l’objet d’une concertation technique avec les organisations syndicales et professionnelles. Il était caractérisé par un déséquilibre entre le projet de réglementation du droit de grève, minutieusement décrit, et les autres propositions destinées à le faire passer (annonce d’une pension de réversion, unicité du dossier personnel…).
Les travaux du Groupe d’Agimont constituent donc la première plateforme revendicative de la fédération qui se construit en parallèle et devrait voir le jour au printemps suivant de 1974. Cette plateforme revendicative se focalise sur l’amélioration de la procédure de participation : les syndicats avaient déjà proposé toute une série de mesures lors du 1er train de révisions du Statut de 1968/1972. Cela passait par la création d’un Conseil supérieur de la Fonction Publique Européenne, mais aussi, au niveau institutionnel, par la création de Comités paritaires de promotion, de Comités consultatifs des réclamations, de Comités d’hygiène et de médecine du travail, de Comités paritaires de gestion…
La plateforme contient un volet Formation Professionnelle Continue, ainsi qu’une solide réflexion sur le système des carrières, jugé alors incapable de résoudre un certain nombre de problèmes pratiques et notamment le passage d’une catégorie à l’autre. Sur ce point précis, le Groupe proposait 3 options : (a) la suppression des catégories, (b) L’établissement de la carrière continue avec maintien des catégories et cadres mais une modification de la grille ou en cas d’échec de a) et b) introduction d’un nouvel article organisant « le passage d’une catégorie à une autre de façon à éviter les inconvénients de l’article 46 actuel conçu pour la promotion de grade à grade dans un système ne connaissant qu’exceptionnellement le changement de catégorie ».
Enfin, le volet Politique Sociale comporte 5 sections revendicatives.
• La première traite des conditions de travail avec le retour aux 40 h, la compensation pour les heures de travail de nuit la possibilité de temps partiel etc.
• On trouve ensuite des mesures concernant la protection du fonctionnaire face aux services de contrôle médical,
• la révision des taux du système des pensions, la réversion pour le conjoint survivant, la pension d’invalidité partielle ;
• des dispositions en faveur des fonctionnaires féminins ayant des enfants de moins de 3 ans ;
• et la révision des conditions d’octroi de l’indemnité de dépaysement.
Principes politiques de la Déclaration d’Ispra
Il est important de rappeler d’abord les principes idéologiques qui ont menés à la « Déclaration d’Ispra ». En toile de fond, il y a l’affirmation répétée des organisations syndicales présentes de la nécessité de remettre en place une structure fédérale. Une première tentative d’organisation en fédération avait eu lieu dans les années 60.
Le contexte social et politique pousse l’Internationale des Services Publics (ISP) et la Fédération Européenne des Services Publics (FSESP) de la toute jeunes Confédération européenne des Syndicats (CES) à construire des synergies pour lutter contre le morcellement syndical. Ainsi, cette nouvelle fédération de la fonction publique européenne et internationale constituerait l’enceinte qui chercherait à dégager des positions communes sur tous les problèmes généraux concernant les organisations syndicales qui la constituent.
Il y a également une volonté de sortir des structures communautaires pour se tourner résolument vers d’autres organisations internationales.
Évidemment, cette nouvelle fédération se mêlerait de la définition d’une certaine conception de la fonction publique européenne et tenterait de se relier de manière directe aux problèmes européens et internationaux en affirmant une vocation politique dans les pays dans lesquels ces institutions sont appelées à travailler.
Principe de structuration : une fédération
Ce que recherchent les fondateurs dans cette nouvelle fédération, c’est une structure aussi souple que possible. Ils ont pour cela deux façons d’y arriver : soit passer par une structure syndicale unique composée de différentes sections, soit organiser un système fédéral regroupant différentes organisations syndicales. C’est cette dernière structure qui constituera le point de départ de la fédération : une certaine autonomie du syndicat est ainsi conservée dans les différentes organisations et la Fédération peut accepter l’affiliation de toute autre organisation de personnel d’organismes internationaux implantés en Europe et se réclamant de la Confédération internationale des syndicats libres CISL.
Principes de fonctionnement : un comité, un bureau, des finances
Lors de la session fédérale d’Ispra, les fondateurs ont réfléchi au principe de fonctionnement et à la prise de décision au sein de la Fédération. Le Comité Fédéral est l’organe de décision et le Bureau Fédéral est chargé de veiller à l’exécution des décisions prises. Dans l’idéal, les problèmes à débattre dans l’enceinte du Comité Fédéral sont préalablement préparés au sein de chacune des organisations. Il semble possible, à partir de là, que le Comité Fédéral prenne des positions fédérales.
La Fédération se voit aussi dotée d’un système et des modalités de prise de décision suivant une pondération établie en commun et permettant la réalisation de majorités. Les décisions sont prises par l’ensemble des organisations concernées. Enfin, la Fédération obtient des moyens financiers qui lui sont propres et qui proviennent des cotisations des organisations membres.
Naissance de l’Union des syndicats
Au cours du congrès constitutif qui se tient à Bruxelles les 16-17 novembre 1974, les Statuts de la Fédération et plusieurs directives générales sont approuvées à l’unanimité. Dans un article daté d’avril 1975 publié dans la revue « Le fonctionnaire européen », (l’ancêtre d’Agora), Roger Van Campenhout, l’un des artisans de la fondation de l’Union Syndicale-Bruxelles en 1973, synthétise les enjeux de la situation de la manière suivante :
Personnels relativement privilégiés, appartenant à des organisations ou institutions à objectif très variable et disposant généralement d’effectifs assez peu nombreux, de quelques centaines à quelques milliers, les fonctionnaires concernés étaient en outre assez peu mêlés aux problèmes des pays dans lesquels ils vivaient.
Ces personnels ont néanmoins pris progressivement conscience du caractère paternaliste des organisations ou institutions qu’ils servaient, et ont constaté à de nombreuses reprises les insuffisances de leur statut, qui étaient parfois même en contradiction avec les options politiques sur lesquelles avaient été fondées ces organisations ou institutions.
Cette prise de conscience a provoqué parfois très récemment. La naissance d’un mouvement syndical dans à peu près toutes les institutions ou organisations implantées en Europe, destiné à faire entendre de façon efficace la voix des personnels, et notamment à placer ces derniers sur un pied d’égalité avec les autorités statutaires dans la négociation des conditions matérielles et morales de travail.
Malgré l’importance de cet objectif, un certain nombre de responsables syndicaux se sont très vite rendu compte de son insuffisance et ont estimé impossible de s’en tenir à une action purement ‘corporatiste’. (SIC).
C’est pourquoi ils ont décidé, avec l’accord et le mandat de l’ensemble des adhérents, d’élargir l’action. Cet élargissement consiste notamment à se définir par rapport à un monde en crise et tout spécialement par rapport au et dans le monde du travail.
À la suite de ce congrès constitutif, il est clair que nous ne pouvons plus rester muets sur la dégradation de l’esprit de coopération internationale qui menace l’existence même, ou en tout cas la raison d’être, de nos institutions ou organisations, sur les retards apportés, lors d’une tourmente mondiale qui aurait dû l’accélérer, à la construction européenne et sur les conséquences de la crise actuelle pour les plus défavorisés, qu’ils appartiennent à nos pays ou à d’autres continents dits du « tiers-monde », conséquences qui seront aggravées par l’affaiblissement des institutions ou organisations européennes ou internationales.
Nous renforcerons donc la coordination entre tous les syndicats d’organismes européens et internationaux adhérant aux principes de l’Internationale des Services Publics (ISP), de de la Confédération Internationale des Syndicats Libres (CISL) et de notre « Déclaration d’Ispra », la collaboration avec les organismes syndicaux nationaux et internationaux. Nous nous efforcerons, tout en laissant à chacun de nos syndicats membres les responsabilités qui les concernent, de parler d’une seule voix sur les questions concernant la fonction publique internationale et européenne, mais aussi et surtout sur les questions qui concernent le développement de la coopération et la solution de la crise actuelle.
Le premier Bureau fédéral
Président : Jean Nemo (US-Bruxelles – Eurocontrol)
Vice- Présidents : Daniel Lemercier, SUEPO – La Haye ; Mélina Babocsay, SACE – Strasbourg ; Bernard Cassaignau, SGPOE – Eurocontrol Luxembourg ; Rodolfo Veneroni, US-Ispra ; Bernard Degand, US-Petten
Secrétaire : Irène Gubin, US-Bruxelles – Eurocontrol
Trésorier : Keith Melkor, US-Bruxelles – Conseil
Emmanuel Wietzel
A PROPOS DE L’AUTEUR
Enseignant, formateur syndical à la Confédération Générale du Travail et Euro.formateur du réseau ToT de l’European Trade Union Institute (ETUI), ancien responsable du secteur Asie-Pacifique du collectif international de l’UGICT-CGT, grand supporter du service public et du dialogue social, passionné par la construction européenne et l’histoire du mouvement syndical international. Directeur administratif de l’Union Syndicale depuis 2017.