Répétition de l’indu

Répétition de l’indu

Agora #88
Pages 37 - 39

La répétition de l’indu est l’un des principes fondamentaux du droit des obligations : quiconque a versé sans cause légale une somme à quelqu’un est en droit d’en exiger le remboursement.

La répétition de l’indu est l’un des principes fondamentaux du droit des obligations : quiconque a versé sans cause légale une somme à quelqu’un est en droit d’en exiger le remboursement. Il s’agit donc d’un « retour à l’envoyeur ». Ce principe, a priori simple, peut cependant conduire à un casse-tête lorsqu’il s’agit de l’appliquer en droit de la fonction publique européenne.

Tout au long de sa carrière, l’agent va devoir actualiser ses données personnelles ou encore introduire des demandes d’octroi de droits statutaires. À cet égard, il lui incombe un devoir de diligence et il est essentiel qu’il soit vigilant lors de tout changement dans sa situation familiale, personnelle, résidentielle ou autre, ce changement pouvant provoquer une réduction ou une suppression de droits dont il était auparavant bénéficiaire.

Par le lien statutaire qui le lie à l’Union, le fonctionnaire ou l’agent (1) se voit conférer un certain nombre de droits individuels. Ceux-ci visent, notamment, les allocations pour enfants à charge ou scolaires, la pension d’invalidité ou d’ancienneté, les allocations de chômage, ou encore le remboursement des frais de déménagement, de voyages ou médicaux.

Dès son entrée en fonction, l’agent est amené à participer activement à la transmission d’informations qui sont supposées permettre à l’administration d’établir lesdits droits (2). Une fois les formulaires remplis, l’administration se charge de l’établissement des premiers droits, en fonction de la situation concrète et factuelle démontrée.

Les cas de figure qui se présentent à l’administration sont divers et variés dans le contexte d’expatriation très singulier dans lequel évolue la fonction publique européenne. Il n’est dès lors pas rare que les agents des différents services chargés d’établir l’un ou l’autre droit individuel commettent une erreur dans l’application des règles et attribuent un droit de manière indue. Il n’est pas non plus exceptionnel que pareille faute ne soit détectée que plusieurs années après versement.

En pratique, aussitôt que l’administration s’aperçoit de l’erreur commise, elle la notifie à l’intéressé et sollicite ses observations sur la situation. Ensuite, si le droit est toujours octroyé, une première décision de suppression du droit pour l’avenir (parfois même avec un effet rétroactif) sera adoptée. Enfin, une seconde décision (3) suivra au travers de laquelle le remboursement de sommes indument versées sera réclamé.

Le risque pour l’agent se situe dans l’éventualité d’avoir à justifier de situations factuelles des années après l’élément générateur du droit erroné (4) . En effet, l’article 85 du Statut crée un droit pour l’administration d’exiger le remboursement de sommes payées parfois pendant des années, voire depuis l’entrée en service s’il est considéré que l’agent a induit délibérément l’administration en erreur. Ce risque peut concerner des sommes parfois considérables (5).

  1. Ci-après indistinctement identifiés sous le vocable « agent », en ce compris l’ancien fonctionnaire ou agent dont l’activité au sein de l’Union a définitivement cessé.
  2. Les premiers aspects qui doivent être déterminés sont le lieu de recrutement, le lieu d’origine, le lieu de résidence habituelle, l’état civil, la composition de ménage, la nationalité, etc. qui seront utilisés pour fixer les droits individuels mensuels établis au travers de la fiche de salaire.
  3. Parfois même plusieurs notes successives.
  4. La matière de prédilection de ce risque est l’indemnité de dépaysement (IDE de 16% du salaire de base) qui aurait erronément été octroyée sur la base de la mauvaise interprétation, à l’entrée en fonction, de l’article 4 de l’Annexe VII au Statut, matière au sein de laquelle les présomptions sont légion.
  5. Ainsi, le paiement indu d’une IDE sur 5 années peut représenter 80% d’un salaire annuel de base.

Cette restitution n’est autorisée que si l’administration prouve que l’une des conditions fixées par le Statut est remplie : soit le bénéficiaire a eu connaissance effective de l’irrégularité du versement, soit l’irrégularité était à ce point évidente qu’il ne pouvait manquer d’en avoir connaissance. L’examen de ces conditions se fera au cas par cas, en fonction des circonstances du paiement indu.

Afin de juger de l’évidence de l’irrégularité, il faudra prouver que l’agent « normalement diligent et censé connaître les règles régissant son traitement » aurait pu ou du déceler l’irrégularité (6) . À cet effet, l’administration pourra se fier au grade, au niveau de responsabilité ou à l’ancienneté du fonctionnaire (7) . Elle pourra également prendre en compte le « degré de clarté des dispositions statutaires définissant les conditions d’octroi des émoluments dus à l’intéressé ainsi que, le cas échéant, l’importance des évolutions intervenues dans sa situation personnelle ou familiale, lorsque le versement de la somme litigieuse est lié à l’appréciation, par l’administration, d’une telle situation » (8) .

Il ne peut être requis de l’agent d’être à ce point méticuleux qu’il ait pu déterminer l’étendue précise de l’erreur de l’administration. Cependant, il n’est pas pour autant dispensé de tout effort de contrôle et de réflexion. Il faut, à tout le moins, qu’il ait éprouvé des doutes suffisants quant aux versements générant un devoir de les signaler à l’administration, pour lui permettre d’en vérifier le bien-fondé avant de confirmer l’octroi du droit (9) .

Le Statut fixe à cinq ans le délai de prescription du droit à répétition de l’indu, qui a été considéré comme vecteur de suffisamment de sécurité juridique (10) , laquelle est indispensable lorsqu’une situation, bien qu’irrégulière, a été consolidée par le temps.

Cependant, une exception à la prescription existe : la mauvaise foi de l’agent. Il en va ainsi de l’agent qui a falsifié des documents, qui a menti sur sa situation civile, ou qui a généralement volontairement manqué de communiquer toute l’information utile et avérée en vue de l’établissement exact d’un droit dans l’unique but de le percevoir. Dans pareil cas, une enquête administrative et une procédure disciplinaire devront être mises en œuvre par l’administration de sorte à pouvoir démontrer le comportement fautif de l’agent.

Avisé sera l’agent qui conservera, à chaque octroi de droits, la documentation prouvant le fondement de la perception, et ce, jusqu’à au moins 5 années après la fin de son service au sein de l’Union. Il veillera également, en fonction de sa situation, à invoquer le bénéfice de la pratique consistant à limiter à un certain pourcentage de sa rémunération les prélèvements opérés sur ses émoluments (11) .

Il ne sera certainement pas inutile de conclure par un appel à la prudence. Les administrations, lorsqu’elles mettent en œuvre la répétition de l’indu, ne suivent pas une procédure comportant des étapes identiques. Le désordre règne en la matière et il est parfois malaisé de comprendre laquelle des notifications constituerait un acte faisant grief au sens du Statut qui fait courir le délai de trois mois dont l’agent dispose pour introduire une réclamation. Mieux vaudra ainsi s’assurer, immédiatement après réception d’une notification, des conséquences légales de celle-ci afin d’éviter toute mauvaise surprise.

  1. Ci-après indistinctement identifiés sous le vocable « agent », en ce compris l’ancien fonctionnaire ou agent dont l’activité au sein de l’Union a définitivement cessé.
  2. Les premiers aspects qui doivent être déterminés sont le lieu de recrutement, le lieu d’origine, le lieu de résidence habituelle, l’état civil, la composition de ménage, la nationalité, etc. qui seront utilisés pour fixer les droits individuels mensuels établis au travers de la fiche de salaire.
  3. Parfois même plusieurs notes successives.
  4. La matière de prédilection de ce risque est l’indemnité de dépaysement (IDE de 16% du salaire de base) qui aurait erronément été octroyée sur la base de la mauvaise interprétation, à l’entrée en fonction, de l’article 4 de l’Annexe VII au Statut, matière au sein de laquelle les présomptions sont légion.
  5. Ainsi, le paiement indu d’une IDE sur 5 années peut représenter 80% d’un salaire annuel de base.

Maître Nathalie de MONTIGNY

A propos de l’auteur

Porte le titre de spécialiste en droit de la fonction publique européenne. Elle conseille et assiste également ses clients en droit économique. En 2018, elle fonde son cabinet d’avocats LEXENTIA. Elle organise également différents cycles de conférence en droit national ou européen, au bénéfice du personnel des Institutions européennes.