Réduction du temps de travail ? Accès interdit !

Réduction du temps de travail ? Accès interdit !

Agora #90
10-11

La limitation du temps d’activité des salariés a été une revendication constante des syndicats. Elle s’inscrit dans une évolution historique continue

Depuis la révolution industrielle, la réduction de la durée du travail est devenue synonyme de progrès social. La limitation du temps d’activité des salariés a été une revendication constante des syndicats. Elle s’inscrit dans une évolution historique continue : d’un maximum de 48 heures fixé dans la Convention N° 1 de l’OIT (1919) à une durée légale hebdomadaire du travail à 35 heures en France (1998).

Si pour les salariés il s’agit d’assurer par là un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, la limitation du temps de travail est aussi dans l’intérêt bien compris de l’employeur, pour préserver le rendement et l’efficacité des travailleurs. En outre, elle peut bien s’inscrire dans l’objectif de combattre le chômage par un partage du travail (« Travailler moins pour travailler tous »).

Europe : le temps révolu du progrès social

La directive européenne 93/104/CE, fondée sur le traité CE, qui affichait l’objectif « de promouvoir l’amélioration des conditions de vie et de travail de la main-d’œuvre permettant leur égalisation dans le progrès » (article 117 du traité CE, voir actuellement l’article 151 du TFUE), fixe des prescriptions minimales, comme suit (article 15) :

« La présente directive ne porte pas atteinte à la faculté des États membres d’appliquer ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs ou de favoriser ou de permettre l’application de conventions collectives ou d’accords conclus entre partenaires sociaux plus favorables à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs ».

La durée du travail dans les institutions européennes

En matière de politique sociale, des instruments juridiques de rang supérieur dans la hiérarchie des normes fixent « des prescriptions minimales » (et la durée maximale du travail en est une), en permettant à des instruments de rang inférieur de préciser les règles applicables dans un sens plus favorable.

C’est ainsi que le premier statut des fonctionnaires des institutions (adopté en 1961) se bornait à fixer un maximum hebdomadaire de 45 heures. Dans cette limite, le statut laissait à chaque institution le soin de fixer la durée de travail applicable.

En 1972, le maximum prévu par le statut (Article 55) a été revu à la baisse, à 42 heures. En 1988, les institutions européennes ont toutes réduit, par voie de décisions internes, la durée hebdomadaire de travail, qui est passée de 38h30 à 37h30 ; depuis, cet horaire s’était gravé dans l’esprit de tous comme constituant un acquis. Nous n’avons jamais imaginé que cet acquis aurait été renversé.

Europe : le temps de la régression sociale

Cependant, cet ‘acquis’ n’était pas destiné à durer. La crise financière déclenchée par les banques et les marchés financiers depuis 2008 a été traduite par une attaque contre les salariés, les pensionnés et de larges couches de la population.

Quelques années après la grande réforme du statut (entrée en vigueur le 1-5-2004), un nouveau processus de réforme a été lancé, en juin 2011. Cette fois-ci, une cure d’austérité a été fièrement présentée comme l’expression de ‘solidarité’ de l’UE avec ses États membres, qui étaient, eux aussi, touchés par cette crise.

La durée du travail augmentée

La Commission a lancé son attaque (2011) en annonçant son intention d’augmenter l’horaire hebdomadaire de travail.

Le raisonnement sinueux de cette augmentation est exposé au considérant 22 du règlement 1023/2013 modifiant le statut, comme suit :

« Les horaires de travail dans les institutions devraient être alignés sur ceux en vigueur dans certains[1] États membres de l’Union européenne afin de compenser la réduction du personnel de ces institutions. Cet alignement devrait prendre en compte les horaires de travail en vigueur dans les fonctions publiques des États membres. L’instauration d’un horaire minimal de travail hebdomadaire garantira la capacité du personnel employé par les institutions d’assumer la charge de travail résultant des objectifs politiques de l’Union européenne et, dans le même temps, l’harmonisation des conditions de travail dans les institutions, dans l’intérêt de la solidarité dans l’ensemble de la fonction publique de l’Union » (considérant 22).

Mais, à part ces calculs d’épicier, ce qui ternit notre statut des fonctionnaires est le fait même de fixer un horaire minimum (article 55, paragraphe 2, du statut) :

« La durée normale du travail varie entre 40 et 42 heures par semaine, les horaires de travail étant établis par l’autorité investie du pouvoir de nomination. »

L’établissement d’un horaire minimum va à l’encontre de la pratique établie en matière de politique sociale. Le mot ‘progrès’, toujours inscrit dans le traité, restera vide de sens, alors que le statut des fonctionnaires fige la régression sociale.

Dans ces conditions, tout débat sur la réduction et l’aménagement du temps de travail n’aura qu’une valeur purement théorique. Aucun progrès social n’est envisageable aussi longtemps que la durée hebdomadaire minimale n’est biffée du texte du statut. Ce qui suppose assumer le grand risque d’une réforme du statut.

[1]     En réalité, selon les données 2022 recueillies par Eurostat, les fonctionnaires dans 13 pays UE travaillent 40 heures par semaine. Dans un pays (DE), ils travaillent 40,5 heures. Dans 13 pays, ils travaillent moins de 40. La moyenne d’heures hebdomadaires fixées dans l’UE27 est 38,5.

Réduire les jours de travail ?

La question de concentrer le travail hebdomadaire sur quatre jours est largement débattue.  Tout en notant que, pour un avenir prévisible, la discussion n’aura qu’une valeur purement théorique, nous pouvons ici formuler quelques réflexions.

L’article 2 de la  Convention N° 1 de l’OIT (1919) fixe une durée maximale non seulement par semaine, mais aussi par jour : « Dans tous les établissements industriels, publics ou privés, […] la durée du travail du personnel ne pourra excéder huit heures par jour et quarante-huit heures par semaine ».

Cette norme maintient sa pleine valeur. Travailler de longues heures par jour entraîne la fatigue, la perte de concentration et une chute de productivité.

En outre, nombreux sont des collègues, surtout des femmes, qui travaillent à temps partiel (et à rémunération réduite) pour faire face à leurs obligations familiales au quotidien (déposer et récupérer les enfants, etc.). Ces personnes, soumises à des contraintes inélastiques, que feraient-elles si l’horaire journalier était rallongé ? Elles demanderaient une réduction ultérieure de leur horaire en renonçant à encore une tranche de leur rémunération.

Le travail à quatre jours par semaine ne serait défendable que si la durée hebdomadaire était réduite à 32 heures.

Vassilis SKLIAS

A Propos de l’Autheur

Vassilis Sklias est un membre du comité fédéral USF  et  EPSU -CJ