Enseignant, formateur syndical à la Confédération Générale du Travail et Euro.formateur du réseau ToT de l’European Trade Union Institute (ETUI), ancien responsable du secteur Asie-Pacifique du collectif international de l’UGICT-CGT, grand supporter du service public et du dialogue social, passionné par la construction européenne et l’histoire du mouvement syndical international. Directeur administratif de l’Union Syndicale depuis 2017.
Je remercie chaleureusement Mme Agnès Brouet, de l’Institut Universitaire Européen de Florence, qui m’a donné accès à de nombreuses archives de l’Institut éclairant la création des syndicats européens (notamment l’USB et la CES).
L’Union Syndicale service public européen – Bruxelles (USB) fut fondée le jeudi 25 janvier 1973 lors d’une assemblée générale constitutive regroupant les adhérents du SGPOE – regroupement Bruxelles...
L’Union Syndicale service public européen – Bruxelles (USB) fut fondée le jeudi 25 janvier 1973 lors d’une assemblée générale constitutive regroupant les adhérents du SGPOE – regroupement Bruxelles (Syndicat Général du Personnel des Organismes Européens) et du SGPOI – unifié (Syndicat Général du Personnel des Organismes internationaux). L’assemblée, convoquée à 14h30, a réuni plus de 600 adhérents au restaurant du 2ème sous-sol du Berleymont. Elle s’est tenue sous la présidence du Secrétaire Général de la centrale générale des services publics belge (CGSP).
Il y a 50 ans naissait l’USB dans un contexte d’élargissement de l’Europe avec, en toile de fond, la guerre froide qui polarisa les luttes sociales et fractura le mouvement syndical international.
L’élargissement de l’Europe
À la fin des années 60, les États-membres des Communautés (CEE, CECA, et CEEA/Euratom) sont frappées par des désordres qui nuisent au fonctionnement du marché commun. Pour éviter les divergences provoquées par des réponses politiques nationales, les Six conviennent d’un plan par étape en vue de la création d’une union économique et monétaire européenne.
Durant les années 60, les Britanniques réorientent leur politique étrangère vers une Europe continentale de plus en plus prospère, alors que lors de la décennie précédente, ils s’étaient tenus à l’écart de toutes les tentatives d’intégration européenne susceptible de remettre en cause leur souveraineté, les liens avec leur ancien empire et leur relation privilégiée avec les USA. Après deux refus de la part de la France, en 1961 et 1967, qui redoutait un affaiblissement de la CEE, le Royaume-Uni voit enfin s’ouvrir les portes du marché commun. Suite au traité d’adhésion, signé le 22 janvier 1971, il y est officiellement admis le 1er janvier 1973 en compagnie de l’Irlande et du Danemark (cf. Événements historiques de la construction européenne (1945-2014) sur l’infrastructure de recherche CVCE.eu de l’Université du Luxembourg .
Les institutions architectures de l’intégration
Dans la construction européenne, la dimension intellectuelle et idéologique est importante, mais ses traductions concrètes le sont plus encore car ce sont elles qui lui assurent sa réalité. Parmi ses nombreuses traductions : les institutions européennes, véritable architecture de l’intégration européenne. Elles sont les formes et les structures sociales rapportées à l’Europe. Celles-ci prendront une forme spécifique puisqu’il s’agit nécessairement d’organisations internationales.
L’explosion de la fonction publique européenne
Pour faciliter l’expansion économique de la Communauté, le Traité de Rome (1957) institue une banque européenne d’investissement. Il prévoit également l’association des pays et territoires d’outre-mer, c’est à dire les colonies françaises, italiennes, néerlandaises et belges en vue « d’accroître les échanges et de poursuivre en commun l’effort du développement économique et social ». Pour réaliser ces tâches, le Traité institue un Parlement européen, un Conseil, une Commission et une Cour de justice. Autant d’institutions qu’il va falloir garnir en personnel affecté à leur fonctionnement : au début des années 70, les effectifs sont portés à près de 10 000 fonctionnaires et agents.
Guerre froide et mutations du mouvement syndical
Les années 1968-1974 connaissent un très fort développement des grèves par rapport aux années précédentes. Le regain de combativité se double d’une évolution de la distribution des pouvoirs dans les syndicats. En effet, l’augmentation de l’influence de la base réduit la puissance des appareils syndicaux dans le même temps où les enjeux et les stratégies des conflits se définissent toujours plus au niveau du lieu de travail.
De la CISL à la CES
Sitôt après la fin de la seconde guerre mondiale, le mouvement syndical international se polarise, suivant en cela la logique de guerre froide qui va s’intensifier progressivement. Dès 1949, sous l’impulsion de la centrale syndicale américaine AFL-CIO, est créé la Confédération Internationale des Syndicats Libres (CISL) qui rassemble à l’époque des organisations syndicales issues de 53 pays et qui revendique représenter près de 48 millions de travailleurs organisés. Les actes du Congrès désignent le « totalitarisme soviétique » comme « l’ennemi prioritaire », mais une minorité sociale-démocrate, issue essentiellement des pays européens, parvient à faire inscrire dans la résolution finale la condamnation de toutes les dictatures et l’idée que le marché ne doit pas être le seul moteur du développement.
Dominée par la stratégie du containment visant à développer systématiquement une opposition aux syndicats communistes ou à ceux risquant de basculer de leur côté, la CISL apporte son soutien à la construction européenne en mettant en place un comité de coordination de la CECA. En 1957, elle crée un Secrétariat Syndical Européen (SSE) par l’intermédiaire duquel elle poussera ses organisations à participer au processus qui aboutira à la création de la Confédération Européenne des Syndicats (CES). Elle crée alors des organisations régionales afin d’organiser les luttes au plus près du terrain ; pour décupler son action, la CISL s’appuie généralement sur les fédérations syndicales professionnelles.
Luttes sociales dans les institutions européennes
Dans ce contexte d’élargissement de l’Europe, de développement des institutions, conséquence des actes du Traité de Rome, les effectifs de fonctionnaires et agents se développent pour atteindre près de 10 000 au début des années 70. Le personnel des institutions se mobilise. Les appels se multiplient pour réclamer des négociations sur les salaires des agents locaux, la lutte contre la discrimination du personnel féminin, l’indemnité de dépaysement et surtout la reconnaissance du fait syndical.
Le processus d’unification
À partir du 27 août 1971, l’Internationale des Services Publics (ISP), fédération internationale professionnelle affiliée à la CISL, organise une série de rencontres avec les représentants des organisations syndicales [1] du personnel travaillant dans les institutions basées à Bruxelles et à Luxembourg. L’objectif affiché est de crée une structure fédérative se réclament politiquement de l’ISP et de la CISL.
C’est le Secrétaire Général de l’ISP (Carl W. Franken) qui préside les six rencontres qui se tiennent entre août 1971 et novembre 1972. Ce travail de discussion et de coordination débouche sur un protocole d’accord très détaillé en six points. L’objectif de l’ISP est d’ériger la construction du syndicat en modèle d’unification syndicale. C’est le sens de la déclaration liminaire de l’assemblée générale de l’unification. Les premiers articles des Statuts de l’USB portent dès l’origine la marque de ces affiliations.
De plus, les syndicats s’accordent déjà pour étendre le processus d’unification à l’ensemble des syndicats des institutions des Communautés européennes en vue de la « remise en place d’une structure fédérale ». Ils s’engagent également à étendre les contacts aux syndicats d’autres organisations internationales implantées en Europe et se réclamant du syndicalisme libre (c’est-à-dire anti-communiste et social-démocrate) en vue de la création d’une structure fédérale. Cette volonté conduira à la création, en 1974, de la Fédération baptisée Union des Syndicats.
[1] Le SGPOI – unifié, créé en 1969 et le SGPOE – regroupement, fondé en 1959 pour Bruxelles et le SGPOE Luxembourg.
Conception et orientation générale de l’action syndicale & Vie syndicale
En décembre 1972, les exécutifs des deux organisations bruxelloises organisent chacune une assemblée générale invitant les adhérents à rejoindre l’AG constitutive de l’USB qui se tiendra la 4ème semaine de janvier 1973. Les tracts adressés aux adhérents les exhortent à s’engager pour l’unification et à venir voter.
Au menu :
- Politique salariale et sociale
Le nouveau syndicat devra s’attaquer aux problèmes de la politique salariale et sociale : rémunérations, sécurité sociale, lutte contre les discriminations, action sociale. Un programme-cadre est soumis à l’Assemblée générale constitutive.
- Conception de la fonction publique européenne (Statut)
Cette partie du protocole est consacrée à la défense des intérêts du personnel étendue à la notion de fonction publique européenne. Ce n’est pas la somme des revendications des institutions, mais le protocole définit à cet effet un ensemble d’objectifs généraux en gardant à l’esprit la nécessité d’assurer l’indépendance, la permanence et la qualité de la fonction publique européenne.
Dans une Europe à un moment charnière de sa construction, la question de l’équilibre des nationalités se pose. La politique syndicale doit s’efforcer de combattre les discriminations selon la nationalité. À cette époque, on a tendance à considérer implicitement les fonctionnaires comme les dépositaires des intérêts de leur pays d’origine. D’autre part, les États-membres sont très intéressés à s’assurer des places « à pouvoir » au sein des institutions européennes aux divers degrés hiérarchiques.
- Ressources de l’organisation
Le nouveau syndicat revendique plus de 2 200 membres (fonctionnaires et agents) ; soit près d’un tiers de l’effectif total des institutions et organes européens de Bruxelles de l’époque.
Les institutions représentées sont : Commission, Conseil, Comité Économique et Social, Eurocontrol, Parlement).
Roger Van Campenhout fait adopter le premier barème solidaire des cotisations en fonction du traitement de base : allant de 30 FB pour une personne dont le traitement de base est 12 000 FB jusqu’à 250 FB pour un traitement de base dépassant les 250 000 FB. Il revendique devant l’AG « une cotisation forte pour garantir un programme de travail ambitieux » à savoir :
- Un programme d’information et de formation syndicale pour les représentants syndicaux, les mandatés et les dirigeants.
- Un paquet de services aux adhérents : une assistance juridique, un fonds d’entraide, un programme de formation professionnelle pour évoluer dans la carrière, un fonds de grève, un programme d’accueil des nouveaux fonctionnaires et agents.
- Le maintien et le développement des relations avec les syndicats affiliés à l’ISP/CISL dans les organisations internationales et autres lieux d’affectation, mais aussi les confédérations et syndicats nationaux.
L’ensemble du programme générant des frais de fonctionnement accrus, les ressources nécessaires sont évaluées à 2 millions de FB par an.d
1973-2023 : les mêmes luttes ?
Ainsi, dès sa création, l’USB met en place les structures et les moyens qui vont lui permettre de peser sur les négociations, tant au niveau de chaque institution, qu’au niveau inter-institutionnel. Sous l’impulsion de l’ISP et de la fédération belge des services publics, le syndicat va continuer à œuvrer pour l’unification du mouvement syndical dans les institutions et organes européens et internationaux.
L’histoire de sa création n’est pas pour autant cousue de fil blanc. En effet, un groupe de syndicalistes, essentiellement constitué d’agents locaux et de fonctionnaires de grade B, C et D très peu représentés dans le nouvel exécutif[1], réagit et déplore la mainmise des haut-grades sur le fonctionnement du nouveau syndicat. Ils jugent également les cotisations mensuelles « inutilement très fortes ».
Partout où l’administration encourage le morcellement et la division syndicale, l’USB développe la solidarité, là où d’autres prônent une action syndicale catégorielle.
Fidèle aux principes posés dès sa fondation, l’USB a maintenu et développé l’ensemble de ses affiliations, l’intégralité de son programme d’aide aux adhérents, y compris le fonds de grève qui sera mobilisé à plusieurs reprises au cours des cinq décennies de conflits sociaux interinstitutionnels dans lesquels le syndicat s’est engagé pour la défense du personnel.
Mais le feu couve encore, comme celui de la menace d’une nouvelle réforme du Statut de la fonction publique européenne. Certaines luttes sont encore d’actualité, telle la construction de l’unité syndicale ou encore la reconnaissance du fait syndical, notamment dans les agences de l’UE. Ce combat a 50 ans, l’Union Syndicale continue de le mener…
[1] 13 cat. A, 2 cat. B, 3 cat C et 1 cat. D
Bibliographie sélective
- Bossuat, G. (2002). Histoire de l’unité européenne et avenir de l’Union. Matériaux pour l’histoire de notre temps, 65(1), 91–97. https://doi.org/10.3406/mat.2002.403321
- Degryse, C. (2011). Dictionnaire de l’Union européenne : Politiques, institutions, programmes(4e éd.). De Boeck Université.
- Pernot, J.-M. (s. d.). Engagements internationaux dans la guerre froide. Dans La CGT dans les années 1950(p. 435–447). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pur.18954
- Orsini, A. (2014). The european union with international organisations : Commitment, consistency and effects across time.
- Renout, H. (2009). Institutions européennes. Paradigme CPU.
- Van der Linden, M. (2006). 5. Syndicalismes et « nouveaux » mouvements sociaux autour de 1968. Dans L’apogée des syndicalismes en Europe occidentale(p. 139–166). Éditions de la Sorbonne. https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.44543
- Visser, J. (1989). European trade unions in figures. Kluwer Law and Taxation Publishers.