La révolution industrielle a redéfini le travail, en introduisant la mécanisation qui a remplacé l’artisanat traditionnel et remodelé les économies. En réponse, les syndicats ont émergé pour contrebalancer le pouvoir industriel incontrôlé, garantissant des droits tels que la négociation collective, la sécurité au travail et des salaires équitables. Ces victoires n’étaient pas seulement économiques, elles étaient démocratiques.
Aujourd’hui, l’intelligence artificielle est la nouvelle force disruptive. Elle automatise les tâches, modifie les profils professionnels et remet en question la définition même du « travailleur ». Tout comme les syndicats se sont autrefois battus pour obtenir des conditions de travail humaines dans les usines, ils sont aujourd’hui confrontés à la gestion algorithmique, aux pratiques opaques en matière de données et aux risques liés à la surveillance. Le champ de bataille a changé, mais les enjeux restent importants : dignité, équité et liberté d’expression.
La démocratie repose sur le principe selon lequel les individus et les groupes peuvent s’exprimer, s’organiser, se réunir et militer en faveur du changement sans crainte de représailles. Dans ce contexte, la liberté d’expression des syndicats est devenue l’un des fronts les plus disputés de la démocratie. Sa préservation n’est pas seulement une question sociale, c’est aussi un baromètre de la santé de notre vie politique et civique.
Pourtant, trop souvent, les institutions qui professent un engagement indéfectible envers les principes démocratiques et la gouvernance participative ne parviennent pas à incarner ces idéaux dans la pratique. L’Union européenne, qui se positionne comme le champion du dialogue social, des droits fondamentaux et de l’élaboration de politiques inclusives, devrait servir de référence en matière d’intégrité et de réactivité institutionnelle.
Mais comme le souligne Nathalie de Montigny, avocate ayant contribué à ce numéro :
« Dans ma pratique, j’ai souvent été frappée par le contraste entre les principes affichés et les comportements observés. D’un côté, un discours institutionnel valorisant le dialogue social, la diversité et l’écoute ; de l’autre, des pratiques internes où la critique est vite perçue comme une menace, où le débat est confiné dans des procédures de consultation purement formelles. »
Cette dissonance entre les affirmations rhétoriques et les pratiques procédurales érode non seulement la confiance du public, mais empêche également l’émergence d’une véritable culture participative. Lorsque la critique est pathologisée et que la délibération est réduite à des gestes symboliques, la promesse démocratique de l’institution s’en trouve diluée.
Il revient donc aux hauts dirigeants, en particulier ceux qui sont chargés de préserver la légitimité et la crédibilité de l’institution, de combler ce fossé en amorçant un changement culturel : un changement qui considère la critique constructive comme un élément essentiel de la résilience institutionnelle plutôt que comme une menace pour son autorité.
Dans ce contexte, les syndicats ne devraient pas être considérés comme des adversaires, mais comme des partenaires indispensables. Leur rôle va bien au-delà de la simple formulation de revendications : ils font office de systèmes d’alerte précoce, capables d’identifier les tensions latentes et de faciliter leur résolution avant que les conflits ne s’aggravent. Leurs contributions, souvent invisibles mais profondément stabilisatrices, profitent non seulement à leurs membres, mais aussi à l’écosystème institutionnel dans son ensemble.
La marginalisation ou la crainte de ces acteurs revient à saper les fondements mêmes du dialogue démocratique. Les institutions doivent au contraire cultiver un climat dans lequel les syndicats sont impliqués de manière proactive, leurs points de vue sont pris en considération et leur présence est considérée comme un signe de maturité institutionnelle plutôt que de vulnérabilité.

