OEB : une culture antisyndicale ?

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«A l’Office européen des Brevets (OEB), un patron français sème la culture antisyndicale»

Seul organisme continental présidé par la France, l’Office européen des brevets (OEB) est en pleine tourmente : qon président, Benoît Battistelli, propulsé en 2010 par Nicolas Sarkozy, est accusé de dérive autocratique, de discrimination antisyndicale et de nier la moindre entrave judiciaire à son imperium. Un cas de dérive patronale qui sera examiné mercredi par le conseil d’administration de l’OEB, dont le siège est à Munich, mais qui possède aussi une antenne à La Haye. Au risque d’amoindrir un peu plus la présence française au sein des institutions internationales.

Ce que l’on reproche au management de Battistelli ? Notamment, au moins trois suicides de salariés survenus pendant son mandat, dont un sur son lieu de travail. «Chaque cas est une tragédie, personne n’a compris la raison du geste», tempère Battistelli, que Libération a rencontré le mois dernier à Paris. C’est peu dire que les syndicats maison n’ont pas la même vision des choses : «Il ne voit que des incompétents et incapables, mais on ne peut avoir raison tout le temps contre tout le monde. La réputation de la France dans les organismes internationaux est en jeu», assure un syndicaliste français membre du SUEPO (Staff Union of the European Patent Office).

Mettre au pas les syndicats

L’OEB emploie 6.700 fonctionnaires internationaux, sur un marché mondial des brevets fortement concurrentiel. Les inventeurs (ou supposés tels) peuvent saisir n’importe quel office national, européen ou asiatique, en vue de se faire breveter. «Il y a concurrence, la différence de coûts entre les différents offices est considérable, justifie Battistelli. A l’OEB, il faut travailler plus et mieux. J’ai été élu sur ce programme.» Libéral en diable, quoique fonctionnaire de profession, il paraît surtout s’attacher à mettre au pas les syndicats.

Le SUEPO rafle 70% des suffrages aux élections du personnel. Battistelli a supprimé son local syndical, lui a interdit d’utiliser la messagerie interne, a initié des procédures disciplinaires contre sept de ses responsables. Avant de tenter de monter un syndicat maison à sa botte, mais qui plafonne à 1% aux élections. «Je suis partisan de longue date du dialogue syndical», se défend Battistelli. Entre autre initiative : soumettre le droit de grève à un référendum interne piloté par ses soins, avec identification des votants. Las, en dépit de cette étroite surveillance, 90% des salariés (sur 55% de votants) ont voté en avril dernier une ultime grève.

Face à un patron, à quel tribunal se vouer ? Le SUEPO s’en est remis à la cour d’appel de La Haye qui, en février 2015, demandait à l’OEB de «donner un accès libre et ne plus bloquer les courriels provenant de suepo.org», considérant que la protection des droits syndicaux serait «manifestement déficiente», dénonçant l’OEB pour sa culture antisyndicale. Crime de lèse-majesté, estime Battistelli, se réfugiant derrière l’immunité judiciaire de son organisme international. Pour de très bonnes raisons, à l’entendre : «Le principe d’immunité, ce n’est pas pour protéger des privilèges de situation, mais pour se prémunir des ingérences nationales.» Le SUEPO a aussitôt traduit : «Trou noir de la démocratie interne, syndicale et judiciaire.» Le patron de l’OEB ne le dément pas, s’en prenant en retour à des «plaideurs en série», à ses yeux «irrecevables», avant de camper sur ses propres droits patronaux : «Il n’y a pas de class action en matière sociale» …

Sabotage de vélo

Jusqu’à présent, la France apporte son soutien à ce président hexagonal d’une instance continentale. En avril dernier, Emmanuel Macron recevait Benoît Battistelli à Bercy. «Pour tout ce qui est adaptation et modernisation de l’OEB, vous avez mon soutien», aurait dit le premier selon le second. Et pour le reste ? Plus une seule manif des salariés de l’OEB, à Munich ou La Haye, sans une halte devant le consulat de France … «Bercy tente de comprendre sa psychopathologie», tente de se rassurer un syndicaliste français. «La France doit prendre ses responsabilités, prévient William Bourdon, avocat du SUEPO. Il est fâcheux et périlleux qu’une institution européenne, censée être exemplaire, le soit si peu sous sa présidence.»

Mercredi en conseil d’administration, l’OEB va revenir sur sa résolution de mars dernier, lors d’un précédent conseil d’administration, manifestant ses «préoccupations profondes au sujet de l’agitation sociale au sein de l’Office», puis notant que «les sanctions et procédures disciplinaires internes sont largement remises en cause dans l’opinion publique». Il faudra peut-être passer des paroles aux actes. Son président, renouvelé l’an dernier pour un mandat de trois ans, se dit victime d’une «campagne de presse», et défendra mordicus son bilan. Sa dernière initiative : un communiqué de presse dénonçant le sabotage de son vélo dans le parking de l’OEB, câbles de frein sectionnés, «acte de vandalisme délibéré d’un bien personnel du président». Depuis, il s’est adjugé six gardes du corps.

 

Rédigé par Renaud Lecadre pour Le Monde.

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