Harcèlement et procédures en justice

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Harcèlement et Statut

Notre Statut ne connaît le harcèlement que depuis la réforme de 2004, qui a introduit l’article 12 bis (voir encadré). La formulation, qui a fait l’objet de nombreuses négociations entre la Commission et les OSP, puis entre la Commission et le Conseil, a rapidement révélé ses faiblesses: pour qu’on puisse parler de harcèlement moral, il faudrait prouver le caractère intentionnel, ce qui est évidemment très difficile.

Heureusement, cet élément, d’ailleurs incompatible avec la définition du harcèlement donnée par la directive 2000/78/CE portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, a été précisé par le Tribunal de la Fonction publique, qui a considéré qu’il devait, certes, s’agir d’actes volontaires, mais qu’il n’était pas nécessaire de rapporter la preuve de l’intention. A défaut de prendre toutes les mesures appropriées pour faire cesser le harcèlement, l’institution méconnaît son devoir de sollicitude et son obligation d’assistance.

L’article 12 bis se borne à interdire le harcèlement et permet donc à l’institution d’ouvrir une procédure disciplinaire en cas de harcèlement. Mais, cet article seul ne donne aucun droit à la victime de harcèlement. Si l’institution n’entame pas une procédure contre le harceleur (encore faudrait-il qu’elle soit au courant du harcèlement), rien ne se passe. Chaque institution a donc mis en place des instruments pour lutter contre le harcèlement et pour traiter les plaintes en la matière. En règle générale, il existe une procédure «informelle», dans le cadre de laquelle la personne qui se sent harcelée peut s’adresser à des «personnes de confiance», simples membres du personnel désignés par l’institution à cet effet ou personnes occupant des postes spécifiques (psychologue, médiateur, …). Si cette procédure informelle ne permet pas de résoudre le problème, on peut passer à une plainte formelle pour harcèlement qui est traitée comme une demande d’assistance au titre de l’article 24 du Statut. A la suite de cette demande, l’AIPN doit ouvrir une enquête pour déterminer s’il y a harcèlement et, le cas échéant, prendre les mesures nécessaires pour faire cesser le harcèlement, le sanctionner et rétablir la réputation lésée. En cas de refus d’assistance, il est possible d’introduire une réclamation puis, si elle est rejetée, un recours en annulation devant la Cour de justice (actuellement le Tribunal de la Fonction publique et bientôt le Tribunal de l’Union). Selon la jurisprudence, à défaut de prendre toutes les mesures appropriées pour faire cesser le harcèlement, l’institution méconnaît son devoir de sollicitude et son obligation d’assistance. En règle générale, on constate que les procédures informelles et les demandes d’assistance aboutissent rarement, particulièrement dans les petites institutions et structures dans lesquelles un «esprit de corps» mal placé pousse souvent l’AIPN à «couvrir» les personnes accusées de harcèlement s’il n’y a pas de preuves objectives et irréfutables que les accusations sont fondées. Or, si l’institution ne peut évidemment entamer des procédures disciplinaires sur la base d’accusations dénuées de tout fondement, des «faisceaux d’indices» de harcèlement devraient être suffisants pour au moins ouvrir une enquête, sans que la personne harcelée ne doive elle-même apporter des preuves de harcèlement. Le Tribunal examinera la situation d’un point de vue purement juridique, en prenant souvent un grand recul par rapport au drame humain.

Malheureusement, le résultat d’une réclamation, suivie d’un recours devant la Cour de justice, est souvent décevant pour l’intéressé. Par définition, une personne harcelée est toujours fragilisée, parfois de manière extrême, et elle aura souvent du mal à soutenir la très intense charge émotionnelle que représentent ces procédures : le présumé harceleur se défendra dans la majorité des cas en lançant des accusations contre sa victime ; l’AIPN, en répondant à la réclamation et au recours, devra justifier sa position de ne pas ouvrir d’enquête et tentera donc de réfuter les accusations de la victime ; le Tribunal examinera la situation d’un point de vue purement juridique, en prenant souvent un grand recul par rapport au drame humain qui, dans une affaire de harcèlement, est pourtant l’essentiel. Et le plus souvent, si le Tribunal donne raison à la victime, il s’agit simplement de condamner l’institution pour défaut d’assistance, c’est-à-dire pour ne pas avoir ouvert d’enquête.

Deux cas emblématiques

Deux cas de harcèlement par des personnalités haut placées ont été dénoncés par la presse ces dernières années. Un des membres de la Cour des comptes a, pendant plusieurs années, harcelé trois membres de son Cabinet, dont l’un a sombré dans une grave dépression et est atteint d’une invalidité permanente et totale malgré un suivi psycho-thérapeutique long et coûteux. Deux rapports d’enquête rédigés par d’anciens magistrats de la Cour de justice, les rapports accablants de plusieurs psychiatres et le rapport rédigé par le Président de la Cour des comptes concluent au «harcèlement moral». Pourtant, les membres de cette institution ont décidé, en 2013, d’enterrer l’affaire, obligeant les plaignants, après environ cinq années de procédures internes, à intenter une action en justice qu’ils ont finalement dû abandonner. Au Parlement européen, une vice-présidente a été accusée de harcèlement par une de ses assistantes parlementaires. Sur injonction de la parlementaire, l’assistante a été licenciée sur le champ par le Parlement, qui a refusé d’ouvrir une enquête à la suite de la plainte.

Quelques mois plus tard, un autre assistant de la même vice-présidente se voyait contraint de démissionner parce qu’il ne supportait plus le harcèlement dont il était victime. Lorsque le TFPE a eu à juger la première affaire, il a condamné le Parlement pour ne pas avoir ouvert d’enquête et, «tenant compte des conditions hautement critiquables dans lesquelles la décision de licenciement et la décision de rejet de la demande d’assistance sont intervenues», il a accordé à la victime une indemnisation du dommage moral subi à hauteur de 50.000 €, ce qui est exceptionnel. Il a, peu après, statué dans le même sens dans le deuxième cas, allouant cette fois 40.000 € de dommage moral. Ces condamnations n’ont pas poussé le Parlement à accorder son assistance aux victimes et à ouvrir une enquête. La première victime a, en effet, dû introduire un deuxième recours, à l’issue duquel le Parlement a, de nouveau, été condamné pour ne pas avoir ouvert d’enquête. Si elles n’ont toujours pas obtenu l’ouverture d’une véritable enquête et la reconnaissance du harcèlement dont elles ont été victimes, ces deux assistants ont au moins bénéficié d’un dédommagement pour la grave faute de service commise par le Parlement.

Le harcèlement moral est un délit

Une autre voie possible est le dépôt d’une plainte pénale devant les autorités judiciaires belges, avec constitution de partie civile. Le harcèlement moral est, de fait, un délit. En raison de l’immunité relative qui nous est garantie par le Protocole sur les Privilèges et Immunités, la justice belge devrait probablement demander l’autorisation de l’institution pour entendre, même comme témoins, des membres du personnel ; mais, il est probable que l’institution pourrait difficilement s’opposer à une telle demande. Toutefois, plus encore devant la justice belge que devant la justice européenne, les procédures sont longues et éprouvantes pour les victimes. Comme on le voit, si les fonctionnaires et autres agents sont en théorie protégés contre toute forme de harcèlement, il est souvent difficile, voire impossible, d’obtenir une protection effective lorsqu’on est confronté à des actes de harcèlement. C’est pourquoi, l’Union Syndicale, si elle n’hésite pas à aller en justice lorsque cela s’avère justifié, même contre des personnalités haut placées, lutte pour améliorer les procédures informelles qui, si elles étaient correctement menées, devraient toujours constituer la meilleure solution. Elle met également à la disposition de ses adhérents des conseillers et des avocats très expérimentés en la matière.

Statut – Art.12bis

1. Tout fonctionnaire s’abstient de toute forme de harcèlement moral et sexuel.

2. Le fonctionnaire victime de harcèlement moral ou sexuel ne subit aucun préjudice de la part de l’institution. Le fonctionnaire ayant fourni des preuves de harcèlement moral ou sexuel ne subit aucun préjudice de la part de l’institution, pour autant qu’il ait agi de bonne foi.

3. Par harcèlement moral, on entend toute conduite abusive se manifestant de façon durable, répétitive ou systématique par des comportements, des paroles, des actes, des gestes et des écrits qui sont intentionnels et qui portent atteinte à la personnalité, la dignité ou l’intégrité physique ou psychique d’une personne.

4. Par harcèlement sexuel, on entend un comportement à connotation sexuelle non désiré par la personne à l’égard de laquelle il s’exerce et ayant pour but ou pour effet de l’atteindre dans sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, offensant ou embarrassant. Le harcèlement sexuel est traité comme une discrimination fondée sur le sexe.

La charge de la preuve

L’article 12 bis, paragraphe 4, dispose que le harcèlement sexuel est traité comme une discrimination fondée sur le sexe, ce qui implique, comme pour toute discrimination, qu’il y a renversement de la charge de la preuve. Pourrait-on envisager une solution similaire pour le harcèlement moral ?

Non. S’il était possible d’établir l’existence d’un harcèlement sur la base d’une présomption, cela constituerait une violation de la présomption d’innocence, puisqu’une présomption de culpabilité serait instaurée, présomption grave en raison notamment des conséquences disciplinaires que de tels agissements peuvent avoir.

Dès lors, le renversement de la charge de la preuve en cas de discrimination n’est pas transposable en matière de harcèlement.

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