L’IA arrive, mais nous ne partirons pas !

L’IA arrive, mais nous ne partirons pas !

Agora #95
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Avant tout, l'IA ne doit pas remplacer les personnes. Elle doit être au service du personnel, améliorer les services et refléter nos valeurs européennes communes.

L’IA ne doit pas remplacer les humains : l’Union Syndicale Fédérale soutient l’appel de la FSESP en faveur de la propriété publique et de la participation des travailleurs à la stratégie de l’UE en matière d’IA

Au moment où la Commission européenne s’apprête à lancer sa « stratégie en matière d’intelligence artificielle », l’Union Syndicale Fédérale (USF), en tant qu’affiliée de la FSESP, soutient pleinement le message fort adressé par la FSESP à la Commission : l’intelligence artificielle ne doit pas remplacer les travailleurs  — et certainement pas sans consultation, protection et planification adéquates.

Sans un plan de transition clair et inclusif, le risque est bien réel que la Commission ou d’autres institutions présentent un jour des plans d’action prévoyant la suppression de 10 à 20 % des postes, en invoquant l’IA comme justification. Cela refléterait des situations précédentes, comme le passage soudain au télétravail pendant la crise du COVID-19, qui était autrefois abstrait et qui est rapidement devenu permanent, conduisant à des décisions structurelles majeures telles que la vente d’immeubles de bureaux de l’UE. L’USF met en garde contre le fait que nous ne devons pas nous laisser surprendre à nouveau.

Ce serait une grave erreur de croire que seuls les employés moins qualifiés ou le personnel spécialisé sont menacés. Le rythme effréné du développement de l’IA signifie qu’aucun emploi ne peut être considéré comme totalement sûr, qu’il s’agisse des avocats, des économistes, des statisticiens ou des assistants. Nous invitons nos collègues, y compris le personnel administratif, à prendre conscience que cette question nous concerne tous. L’IA ne concerne pas seulement l’automatisation des tâches routinières, elle touche également de plus en plus les rôles intellectuels complexes.

Trop souvent, les changements technologiques sont introduits de manière descendante, avec peu ou pas de participation des travailleurs qui seront finalement amenés à utiliser ces outils. Nous insistons fortement sur le fait que le personnel doit être consulté dès le début. Il ne s’agit pas seulement d’une question de pratique démocratique sur le lieu de travail, mais aussi d’un élément essentiel pour instaurer la confiance, l’appropriation et la coopération nécessaires à une intégration éthique et efficace de l’IA dans les services publics.

Dans les administrations publiques, l’éducation, les soins de santé et le système judiciaire, les travailleurs continuent de se sentir exclus des processus décisionnels liés à l’IA. Les systèmes sont mis en place sans consultation préalable, et le personnel n’est ni formé ni informé. Cela sape à la fois la confiance des travailleurs et l’efficacité des outils eux-mêmes. L’Union Syndicale Fédérale se joint à la FSESP pour exiger une consultation significative du personnel et de ses représentants, et pour que la négociation collective joue un rôle central dans la manière dont l’IA est déployée dans les institutions et les services publics de l’UE.

Nous ne sommes pas contre la technologie. Utilisée de manière responsable, l’IA peut aider les travailleurs, réduire les charges de travail excessives et améliorer les services. Mais rien de tout cela ne peut se produire si le personnel est laissé en arrière. Lorsque l’IA remplace ou réduit certaines tâches, cela ne doit jamais servir de prétexte pour supprimer des emplois. Au contraire, cela doit inciter à investir dans la reconversion, la formation continue et la réorientation professionnelle. L’organisation a la responsabilité de veiller à ce qu’aucun travailleur ne se retrouve sans avenir.

Nous constatons que l’IA transforme le monde du travail. Certains rôles évolueront inévitablement et certaines tâches pourraient devenir obsolètes. Cependant, nous rejetons fermement l’idée que les personnes elles-mêmes puissent être considérées comme étant superflues. Même si les fonctions professionnelles peuvent changer, les travailleurs doivent être conservés, reformés et réorientés au sein de l’organisation. C’est là notre revendication principale, que nous partageons avec nos partenaires de la FSESP à travers l’Europe.

L’Union Syndicale Fédérale considère également ce moment comme une occasion de repenser notre façon de travailler. Si l’IA est réellement capable de réduire la charge de travail, alors ces avantages doivent être partagés avec les travailleurs. Au lieu de remplacer les personnes, pourquoi ne pas réduire le temps de travail ? L’USF soutient l’idée d’explorer la possibilité d’une semaine de travail de quatre jours ou d’une réduction du temps de travail comme réponse juste et innovante à l’augmentation de la productivité. Il est temps d’avoir cette conversation, non pas après la perte d’emplois, mais avant que les décisions ne soient prises.

L’appel lancé par la FSESP en faveur de la propriété publique des infrastructures numériques et de services cloud gérés de manière démocratique est un autre point crucial que nous soutenons. Les données du secteur public ne doivent pas être transmises à des entreprises privées étrangères sans contrôle. Nous nous joignons à la FSESP pour réclamer la souveraineté numérique, l’investissement public et la participation des travailleurs comme piliers essentiels de la stratégie européenne en matière d’IA. Les services publics doivent rester publics, y compris leur infrastructure numérique.

Avant tout, l’IA ne doit pas remplacer les personnes. Elle doit être au service du personnel, améliorer les services et refléter nos valeurs européennes communes. Cette transition doit être inclusive, équitable et fondée sur le dialogue social. C’est pourquoi l’Union Syndicale Fédérale soutient pleinement la lettre adressée par la FSESP à la Commission et demande que les représentants du personnel soient immédiatement et régulièrement consultés sur toute initiative en matière d’IA ayant une incidence sur l’emploi, les conditions de travail ou la prestation de services.

Il s’agit d’un problème collectif qui nécessite une action coordonnée. L’USF invite tous les syndicats, les représentants du personnel et les collègues à se rallier à ces revendications et à veiller à ce que la transition vers l’IA se fasse avec, et non contre, les personnes qui assurent le bon fonctionnement des services publics.

Niels BRACKE

A PROPOS DE L’AUTEUR

Niels Bracke est président de l’Union Syndicale Bruxelles (USB) et vice-président de l’Union Syndicale Fédérale de la section SEAE.