Nous risquons d'envoyer le message que l'évolution de carrière dépend du fait d'être dans la bonne agence, et non de faire le bon travail.

Grimper l’échelle invisible :
Vous avez travaillé dur toute l’année. Votre évaluation a été excellente, vos responsabilités ont augmenté et vous avez même pris l’initiative d’apprendre une troisième langue. Vous vous demandez donc peut-être : « Suis-je éligible à une reclassification ? »
Si vous travaillez à la Commission européenne, la réponse – oui ou non – sera probablement basée sur un système assez transparent, des règles clairement définies et des attentes communes. Mais si vous faites partie des milliers d’agents temporaires ou contractuels d’une agence décentralisée de l’UE, la réponse pourrait être : « Ça dépend. »
Et c’est là que se trouve le problème.
Pourquoi la reclassification est-elle importante ?
La reclassification, c’est-à-dire la promotion d’un agent temporaire ou contractuel à un grade supérieur, peut sembler être une simple formalité, mais elle touche au cœur même de la manière dont les institutions reconnaissent le mérite, gèrent les talents et conservent l’expertise. C’est le moteur discret qui soutient la progression de carrière. Elle reflète la manière dont un lieu de travail considère son personnel : comme des contributeurs à long terme ou simplement comme des pièces détachées d’une machine bureaucratique.
Pourtant, aujourd’hui, les pratiques de reclassification au sein des agences de l’UE sont tout sauf uniformes. Qu’est-ce qui détermine si un collègue progresse dans la hiérarchie ? Parfois, c’est l’expérience. Parfois, ce sont les performances. Et parfois, c’est un ensemble de critères non publiés connus uniquement d’une poignée de responsables des ressources humaines. Cette incohérence risque de nuire à la confiance, au moral et à l’engagement de l’UE en faveur de l’égalité dans l’emploi.
Alors, comment les choses fonctionnent-elles réellement en coulisses ? Et que peut-on faire pour garantir que l’échelle hiérarchique soit visible, stable et ouverte à tous ?

La Commission versus les agences : l’histoire de deux systèmes
Commençons par la source : la Commission européenne.
Là, le processus de reclassification des agents temporaires et de promotion des fonctionnaires est rigoureusement structuré, régi par le statut du personnel et mis en œuvre avec une transparence méticuleuse. Des exercices annuels sont organisés avec des quotas pour chaque grade. Les résultats des évaluations du personnel sont directement pris en compte dans les perspectives de promotion. Le mérite comparatif est évalué par des comités paritaires composés de représentants de la direction et du personnel. Les recours sont possibles, et même prévus, grâce à un quota réservé pour les places de promotion.
Examinons maintenant les agences.
Bien qu’elles fassent partie de la famille institutionnelle de l’UE, de nombreuses agences ont peu de points communs avec la Commission en matière de reclassification. Si quelques agences (comme l’Agence européenne des produits chimiques) ont des règles claires, des plans de reclassification basés sur des quotas et des procédures de consultation du personnel, d’autres fonctionnent de manière plus ponctuelle.
Par exemple :
- Certaines agences ne publient pas les critères utilisés pour déterminer quels membres du personnel sont reclassés.
- D’autres négligent toute référence au mérite comparatif dans leurs directives.
- Dans certaines agences, les membres du personnel sont informés de leur promotion une fois les décisions finalisées, sans possibilité de faire appel ou de demander des éclaircissements.
- Les comités paritaires de reclassement peuvent exister sur le papier, mais n’ont aucune influence significative.
Le résultat ? Un système fragmenté dans lequel l’évolution de carrière peut ressembler davantage à une loterie qu’à un parcours fondé sur le mérite.
Questions posées par le personnel — et auxquelles il est souvent impossible de répondre
« Pourquoi mon collègue a-t-il été reclassé après seulement deux ans dans son grade, alors que j’attends toujours après quatre ans ? »
« Combien de postes étaient disponibles pour mon grade cette année ? »
« Puis-je faire appel de cette décision ? »
« Le comité a-t-il réellement comparé les mérites de tous les membres du personnel éligibles ? »
Il ne s’agit pas là de préoccupations abstraites, mais de questions concrètes, soulevées chaque année par des centaines d’employés dans l’ensemble des agences de l’UE. Dans un milieu de travail qui valorise l’équité, de telles questions ne devraient jamais être accueillies par le silence.
Ce qui fonctionne bien — et où
Tout n’est cependant pas sombre. Certaines agences donnent le bon exemple.
- Quelques-unes publient désormais les résultats anonymisés des exercices de reclassification — par grade, par lieu, voire par sexe —, renforçant ainsi la transparence et la confiance.
- Certaines intègrent des critères d’ancienneté et des grilles d’évaluation dans leurs politiques RH, offrant ainsi au personnel une vision plus claire de ce qui est attendu.
- D’autres confient un rôle significatif à leurs représentants du personnel, en les invitant à participer aux décisions concernant les quotas, à comparer les mérites et même à participer aux recours.
Les exemples cités montrent que le changement n’est pas seulement possible, mais qu’il est déjà en cours dans certaines parties de l’univers administratif de l’UE.
Mais nous devons aller plus loin.


Un plan d’action pour une reclassification plus équitable
Que faudrait-il pour que tous les agents temporaires et contractuels des agences décentralisées de l’UE puissent affirmer en toute confiance : « Ma reclassification a été équitable, transparente et fondée sur le mérite » ?
Créer une telle réalité n’est pas une utopie. En fait, c’est une feuille de route pratique qui s’appuie sur des pratiques qui marchent déjà bien dans certaines institutions de l’UE. Voici un aperçu des cinq piliers qui peuvent former la base d’un cadre de reclassification plus solide et plus juste.
Critères transparents et communication claire
Embarqueriez-vous dans un avion sans connaître votre destination ? Pourquoi alors devrait-on attendre du personnel qu’il fasse confiance à un système de reclassification sans en connaître les règles ?
Chaque agence devrait communiquer de manière publique et proactive l’ensemble du cadre applicable à la reclassification. Cela signifie :
- Conditions d’éligibilité, telles que la durée minimale dans le grade, la durée du contrat ou la certification linguistique.
- Critères d’évaluation, y compris les éléments pris en compte pour déterminer le mérite (par exemple, les responsabilités, les langues utilisées, l’apprentissage et le développement, les commentaires des pairs/de l’équipe).
- Nombre de places disponibles pour la reclassification, afin que les attentes soient gérées de manière réaliste.
- Calendrier précis, notamment la date à laquelle les rapports d’évaluation doivent être clôturés, la date à laquelle les évaluations comparatives ont lieu et la date à laquelle les décisions seront communiquées.
De plus, ces informations ne doivent pas être enfouies dans des dossiers RH internes ou diffusées dans des e-mails annuels vagues. Les agences doivent plutôt utiliser des pages intranet dédiées, des FAQ et des séances d’information. Le personnel ne doit jamais avoir à deviner quelles sont ses perspectives ou les mesures à prendre.
Meilleure pratique : certaines agences ont déjà commencé à publier en ligne les décisions relatives aux MB, y compris les critères indicatifs d’ancienneté. D’autres organisent des séances d’information spécifiques avant de lancer l’exercice. Toutes les agences devraient suivre cet exemple.
Mérite comparatif — pas seulement l’ancienneté
L’ancienneté est un critère, certes. Mais devrait-elle être le seul ?
Un système de reclassification équitable doit aller au-delà de l’« ancienneté dans le grade » et se demander : qu’a accompli cet employé pendant cette période ?
Les agences doivent mettre en place une évaluation comparative du mérite de tous les employés éligibles à chaque grade, en tenant compte des éléments suivants :
- Qualité et impact du travail effectué.
- Utilisation de langues européennes supplémentaires au-delà des deux langues requises.
- Engagement dans l’apprentissage, le développement ou la collaboration interinstitutionnelle.
- Leadership dans des projets ou des rôles de mentorat.
- Contributions à la connaissance ou à la culture institutionnelle (par exemple, comités, intégration, initiatives volontaires).
Ce processus doit être documenté et fondé sur des preuves, à l’aide de formulaires ou de grilles standardisés. Il doit également être comparatif, et non isolé, afin que les membres du personnel soient évalués de manière équitable par rapport à leurs pairs du même grade, et non de manière arbitraire.
Certaines évaluations de la Commission utilisent des systèmes de classification dans lesquels le mérite prime sur l’ancienneté, en particulier dans les grades correspondant au début de carrière. Les agences devraient viser un équilibre similaire, en veillant à ce que ceux qui se distinguent par leurs performances exceptionnelles soient reconnus.
Des recours accessibles, responsables et respectés
Que se passe-t-il lorsque quelque chose ne va pas, ou semble tout simplement injuste ?
Il est essentiel de disposer d’un mécanisme de recours efficace, non pas pour remettre en cause chaque décision, mais pour offrir un moyen crédible de recours lorsque les procédures sont imparfaites ou peu claires.
Les agences devraient :
- Permettre au personnel de faire appel officiellement des décisions de reclassification.
- Fixer des délais et des motifs clairs pour les appels (par exemple, irrégularités de procédure, mérite négligé).
- Mettre en place un comité d’appel conjoint composé de représentants des ressources humaines, de la direction et du personnel.
- Fournir des décisions écrites accompagnées d’explications.
La simple existence d’une procédure d’appel a un effet préventif : elle renforce les exigences en matière de diligence raisonnable et d’équité dans le processus principal.
La Commission européenne réserve environ 5 % des quotas de reclassification aux appels acceptés. Un mécanisme similaire permettrait aux systèmes des agences de rester flexibles tout en renforçant la confiance du personnel.


Des comités paritaires de reclassification qui fonctionnent effectivement
Quel est le rôle d’un comité paritaire s’il n’est consulté qu’une fois les décisions déjà prises ?
Les comités de reclassification, composés de représentants de la direction et du personnel, devraient être chargés de :
- Participer à la phase de préparation, en aidant à définir les critères et les quotas.
- Examiner les évaluations comparatives et les listes de personnel, et ne pas se contenter d’approuver les propositions des RH.
- Veiller à l’équité, notamment en matière de représentation des sexes, des lieux et des grades.
- Signaler les incohérences ou les préoccupations avant que les décisions ne soient communiquées.
Pour être efficaces, ces comités ont besoin :
- d’avoir accès à des ensembles de données complets (résumés d’évaluation, quotas, notation au mérite) ;
- de disposer de temps pour délibérer, sans consultations précipitées ;
- que leurs contributions soient respectées et que les résultats soient documentés.
Dans quelques agences, ces comités fonctionnent comme de véritables organes de cogestion. Dans d’autres, ils sont symboliques. Renforcer leur rôle n’est pas seulement une question de procédure, il s’agit de garantir que les décisions de reclassification soient acceptées et approuvées par la communauté.
Publiez les résultats — pas les noms, mais les chiffres.
La transparence ne signifie pas divulguer les noms. Mais sans données publiées, comment le personnel peut-il évaluer l’équité ?
Après chaque cycle de reclassification, les agences devraient publier des rapports statistiques anonymisés comprenant :
- Le nombre total d’employés éligibles par grade.
- Le nombre total de reclassifications accordées.
- Les taux de réussite par grade, sexe, lieu ou même direction.
- Les quotas utilisés et non utilisés, avec des explications.
- Les changements ou les tendances par rapport aux années précédentes.
Cela ne viole pas la vie privée, mais permet plutôt d’exercer une supervision, d’identifier les disparités et de constituer une mémoire institutionnelle. Cela crée également une base de référence pour l’amélioration et la confiance du public.
Certaines agences publient déjà des rapports internes après la phase de reclassification. Ceux-ci devraient devenir la norme et, dans l’idéal, être également examinés par le comité du personnel.
Un système qui fonctionne pour tous
L’équité n’est pas seulement un principe, c’est aussi un processus. Elle doit être visible, responsable et appliquée de manière cohérente.
Grâce à ces cinq piliers, le système de reclassification dans les agences de l’UE peut passer d’une frustration silencieuse à une confiance partagée. De l’incertitude à la clarté. De la fragmentation à l’équité.
Car lorsque l’évolution de carrière est respectée, que les performances sont récompensées et que la transparence est garantie, tout le monde y gagne.
Soyons honnêtes : quels sont les enjeux ?
L’UE revendique fièrement ses valeurs d’équité, de mérite et d’excellence. Mais lorsque certaines agences considèrent la reclassification comme une faveur administrative plutôt que comme un droit structuré, cette fierté résonne à vide.
Nous risquons de perdre nos meilleurs collaborateurs. Nous risquons d’éroder la confiance. Nous risquons d’envoyer le message que l’évolution de carrière dépend du fait d’être dans la bonne agence, et non de faire le bon travail.
Et pourtant, la solution n’est pas révolutionnaire. Il s’agit d’harmoniser les règles, d’investir dans la transparence et de faire confiance au personnel pour mériter ce qu’il gagne. Si la Commission peut le faire, avec des dizaines de milliers de fonctionnaires, un réseau d’agences employant quelques centaines de personnes peut également le faire.
La reclassification est plus qu’une simple étape procédurale : c’est un vote de confiance vis-à-vis du personnel, une reconnaissance de sa progression et une promesse d’opportunités. Ne gâchons pas cette chance d’en faire ce qu’elle devrait être : équitable, transparente et valorisante.
Comme l’a récemment déclaré un collègue chevronné qui n’a pas été reclassé : « Ça ne me dérange pas d’attendre mon tour. Mais ça me dérange de ne pas savoir si j’en aurai un un jour. »
Ce sentiment ne devrait pas définir l’expérience du personnel des agences de l’UE. Pas en 2025. Plus jamais.

Isidoros TSOUROS
A PROPOS DE L’AUTEUR
Isidoros a occupé le poste d’assistant de recherche à l’EUAA en 2019. Avec plus de 25 ans d’expérience en tant que professionnel du droit, il a eu une carrière distinguée, étant élu président d’un barreau de droit grec à deux reprises. En 2022, il a été élu au Comité exécutif de l’USB en tant que représentant de la section des agences. Cet article reflète sa perspective syndicale et est rédigé à ce titre.