L’avenir de la mobilité du personnel de l’UE

L’avenir de la mobilité du personnel de l’UE

Agora #94
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L'Assemblée des comités du personnel des agences (AASC) s'inquiète des obstacles systématiques qui empêchent le personnel des agences d'accéder aux parcours de mobilité professionnelle.

De la fragmentation à l’intégration :
L’avenir de la mobilité du personnel de l’UE

La mobilité professionnelle au sein des institutions de l’Union européenne (UE) est essentielle pour favoriser le développement professionnel, améliorer les compétences et garantir l’efficacité institutionnelle. La mobilité permet au personnel d’acquérir diverses expériences, d’élargir leurs réseaux professionnels et de contribuer à différents aspects de la gouvernance de l’UE. Cependant, le personnel travaillant dans des agences décentralisées est souvent confronté à des défis importants. Alors que les fonctionnaires des organes centraux tels que la Commission européenne bénéficient de cadres de mobilité établis qui permettent une progression de carrière et un échange de savoir-faire, les agents temporaires (AT) et les agents contractuels (AC) des agences n’ont que des possibilités limitées de mobilité, ce qui entraîne une stagnation et un manque d’efficacité dans l’allocation des ressources humaines.

L’Assemblée des comités du personnel des agences (AASC) s’inquiète des obstacles systématiques qui empêchent le personnel des agences d’accéder aux parcours de mobilité professionnelle. Ces obstacles limitent non seulement le développement des carrières individuelles, mais aussi la circulation efficace de l’expertise au sein des institutions de l’UE. L’absence de mécanismes harmonisés de détachement et de transfert crée un système fragmenté, dans lequel le personnel des agences a souvent du mal à évoluer vers de nouvelles fonctions dans le cadre plus large de l’UE. Sans soutien institutionnel à la mobilité, les agences risquent d’être confrontées à un taux de rotation élevé, à une fuite des talents et à une baisse de motivation de leurs employés.

Cet article examine l’état actuel de la mobilité, les initiatives récentes, les défis identifiés en matière de mobilité du personnel et les recommandations pour un cadre amélioré, tout en s’appuyant sur des analyses comparatives d’institutions internationales telles que les Nations unies, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque centrale européenne (BCE) et la Banque mondiale.

Le paysage actuel de la mobilité du personnel

L’Office européen de sélection du personnel (EPSO) est chargé de sélectionner le personnel des institutions et agences de l’UE. Alors que l’EPSO gère les concours généraux pour les postes permanents, la sélection des agents temporaires est gérée par les institutions individuelles, ce qui entraîne des incohérences dans les possibilités de mobilité. Les agents contractuels, souvent recrutés pour des tâches spécifiques avec des durées de contrat limitées, ont encore moins de perspectives de développement de carrière (EPSO).

Bien qu’ils représentent environ 22 % de l’ensemble du personnel institutionnel de l’UE, les employés des agences décentralisées ne bénéficient pas d’un cadre de mobilité structuré. Le manque de coordination interinstitutionnelle signifie qu’une expertise précieuse est souvent sous-utilisée et que la stagnation de la carrière est un risque important pour les employés des agences. L’absence d’une stratégie claire de réintégration après un détachement ou un transfert décourage encore davantage la participation aux programmes de mobilité. En revanche, au sein de la Commission européenne, les fonctionnaires ont accès à des cadres de mobilité structurés qui offrent des possibilités de rotation et de transferts entre services. Cet écart met en évidence un déséquilibre fondamental auquel il convient de remédier pour garantir des perspectives de carrière égales dans toutes les institutions de l’UE.

D’autres institutions mondiales, telles que l’ONU et le FMI, ont mis en place des politiques de mobilité interinstitutions spécifiques qui permettent au personnel de passer sans difficulté d’un poste à l’autre au sein de leurs organisations respectives, garantissant ainsi la continuité de l’expertise. Le cadre de mobilité gérée de l’ONU, par exemple, établit des rotations systématiques du personnel entre différents lieux d’affectation, ce qui favorise la progression de la carrière et le partage des connaissances institutionnelles. De même, le FMI a adopté une approche structurée de la mobilité, reconnaissant que les changements de carrière internes renforcent l’adaptabilité du personnel et réduisent le taux de rotation.

Les défis de la mobilité du personnel des agences

Contraintes juridiques et administratives

Les contraintes juridiques et administratives ont un impact significatif sur la capacité du personnel intérimaire à se déplacer entre les institutions de l’UE. L’article 50 C du statut établit un cadre de détachement, mais il s’applique exclusivement aux agents temporaires, laissant les agents contractuels sans possibilités de mobilité structurée. Cette différenciation crée un terrain de jeu inégal, où une partie importante du personnel des agences se voit refuser l’accès à des possibilités d’évolution de carrière. Les agences opèrent dans des cadres juridiques et contractuels différents, ce qui complique les transferts entre agences et entraîne une application incohérente des politiques de mobilité. Contrairement aux fonctionnaires permanents de la Commission européenne, les AT et les AC ne bénéficient pas d’un droit automatique à la mobilité entre les institutions, ce qui complique l’évolution de carrière dans le cadre de l’UE.

En revanche, le cadre de mobilité des talents de la Banque mondiale intègre des missions à court terme, des échanges de postes et des rotations de carrière dans le cadre de sa stratégie de développement des effectifs, ce qui garantit une progression de carrière sans obstacles bureaucratiques. La BCE dispose également de programmes de mobilité interfonctionnelle, dans le cadre desquels les employés peuvent postuler à des postes temporaires dans différents départements ou agences, ce qui leur permet d’élargir leur expertise et leurs perspectives de carrière.

Défaut d’un système de mobilité coordonné

L’absence d’un système de mobilité coordonné est un autre obstacle majeur. Il n’existe actuellement aucune plateforme centralisée qui facilite les détachements et les transferts à court terme entre les agences et les institutions. Par conséquent, la mobilité est souvent gérée indépendamment par chaque agence, ce qui crée des inefficacités bureaucratiques et limite la transparence. Comme il n’existe pas de critères de sélection communs pour les programmes de mobilité, les membres du personnel peuvent se trouver désavantagés en fonction des politiques de leur agence d’emploi.

Les défis de la réintégration et la réticence des institutions

La réintégration après un détachement reste un problème persistant. De nombreux membres du personnel qui participent à des détachements ont du mal à retourner dans leur institution d’origine en raison de l’absence de parcours de réintégration structurés. Les agences peuvent être réticentes à approuver les détachements, craignant de perdre du personnel expérimenté sans garantie de retour. Par conséquent, de nombreux employés détachés choisissent de saisir des opportunités externes plutôt que de se réintégrer, ce qui entraîne une fuite des cerveaux institutionnels et une perte d’expertise précieuse. Le manque d’incitations à la réintégration aggrave encore le problème, car les agences n’accordent pas la priorité à l’accueil d’employés ayant acquis des compétences et une expérience accrue.

Par contraste, les Nations unies disposent d’un mécanisme de réintégration bien défini, garantissant au personnel détaché des perspectives de carrière claires à son retour d’une mission temporaire. De même, le FMI encourage la mobilité interne tout en préservant la continuité du personnel grâce à des plans de transition structurés.

Recommandations pour un meilleur cadre de mobilité

Pour créer un système de mobilité plus équitable et plus structuré, il conviendrait de créer une base de données centralisée des listes de réserve afin de suivre le personnel éligible pour les détachements et les transferts à court terme. Cette base de données améliorerait la transparence et l’efficacité en permettant aux agences décentralisées de mieux gérer les demandes de mobilité. En regroupant les initiatives de mobilité existantes au sein d’un système structuré, l’UE pourrait améliorer la coordination et l’accessibilité pour tous les membres du personnel. L’intégration de fonctions de mobilité dans Sysper moderniserait le système de gestion des ressources humaines de l’UE en permettant au personnel d’indiquer ses préférences en matière de mobilité, de postuler à des opportunités et de suivre les affectations de manière numérique. Cette amélioration permettrait de rationaliser les processus de mobilité, d’accroître la transparence et de répondre plus rapidement et plus efficacement aux besoins en main-d’œuvre des institutions de l’UE.

En outre, le statut devrait être révisé pour étendre l’article 50c aux agents temporaires et permettre aux agents contractuels d’avoir accès aux possibilités de détachement. Des mécanismes de réintégration clairs devraient être mis en place pour garantir que le personnel revenant d’un détachement puisse réintégrer sans heurt son institution d’origine. Un portail unifié sur la mobilité devrait être créé pour servir de point d’accès unique aux offres d’emploi internes et aux possibilités de détachement dans toutes les institutions de l’UE. Les agences de l’UE pourraient s’inspirer des modèles de mobilité d’institutions telles que la Banque mondiale, qui a mis en place un cadre structuré de mobilité et de réintégration.

Les parcours de carrière interfonctionnels de la BCE devraient également servir de modèle à l’UE. Encourager les rotations structurées entre agences, plutôt que de les limiter à des départements individuels, permettrait non seulement de renforcer la mobilité des carrières, mais aussi d’améliorer la collaboration entre agences et l’efficacité institutionnelle.

Intégrer tous les éléments : Une vision pour la mobilité du personnel de l’UE

L’absence de mobilité structurée pour le personnel des agences est un problème urgent qui affecte la motivation et la rétention du personnel, ainsi que l’efficacité des institutions. Sans une action immédiate, les institutions européennes risquent de perdre des talents précieux au profit d’organisations extérieures et de ne pas utiliser efficacement l’expertise existante. Les détachements structurés et les transferts à court terme devraient être considérés comme un droit plutôt qu’un privilège, garantissant ainsi une progression de carrière équitable dans les institutions de l’UE. En mettant en œuvre ces mesures, les agences de l’UE peuvent cultiver une main-d’œuvre à la fois dynamique et bien intégrée, contribuant ainsi à l’efficacité et à la crédibilité de l’Union européenne dans son ensemble. L’adoption des meilleures pratiques d’institutions telles que l’ONU, le FMI, la BCE et la Banque mondiale peut servir de cadre d’orientation pour améliorer la mobilité professionnelle interne au sein des agences de l’UE.

 

Lecture complémentaire (en anglais)

Initiatives existantes visant à promouvoir la mobilité inter-agences dans les institutions de l’UE

Vue d’ensemble des programmes existants conçus pour faciliter la mobilité du personnel, en soulignant leur portée, leur efficacité et les domaines susceptibles d’être améliorés :

Marché de l’emploi inter-agences

Le marché de l’emploi inter-agences est une plateforme réservée qui permet au personnel des agences d’explorer les postes vacants dans les différentes agences de l’UE et d’y postuler. Cette initiative a été conçue pour faciliter l’évolution de carrière, soutenir le transfert de connaissances et accroître la collaboration entre les institutions. Cependant, malgré son potentiel, la plateforme ne bénéficie pas de la participation obligatoire de toutes les agences, ce qui se traduit par une adoption irrégulière. Les membres du personnel ne trouvent souvent que peu d’opportunités dans la liste, car toutes les agences ne contribuent pas activement au système. Un engagement plus fort de la part des institutions de l’UE pour développer ce marché de l’emploi pourrait améliorer de manière significative la mobilité des employés des agences.

Marché de l’emploi des agents contractuels 3a

Le marché de l’emploi pour les agents contractuels 3a facilite spécifiquement la mobilité entre les agences exécutives et la Commission européenne. Cette initiative permet aux employés contractuels d’explorer et d’évoluer vers de nouvelles fonctions sans passer par un processus d’embauche externe. Bien que ce système soit avantageux, il reste limité aux agences exécutives, laissant de nombreux agents contractuels dans des agences décentralisées sans voie structurée pour l’avancement de leur carrière. En outre, l’efficacité de cette initiative a été remise en question, une évaluation récente ayant révélé que seules quatre offres d’emploi étaient disponibles sur la plateforme, ce qui soulève des inquiétudes quant à sa portée et à son caractère pratique. En outre, la plateforme s’adresse principalement aux postes basés à Bruxelles, ce qui limite potentiellement l’accessibilité pour les agents contractuels en poste dans d’autres endroits.

Actions Marie Skłodowska-Curie – Échanges de personnel

Le programme Actions Marie Skłodowska-Curie – Échanges de personnel est une initiative bien établie dans le cadre de la recherche de l’UE. Il finance la mobilité temporaire du personnel détaché pour des périodes allant d’un mois à un an, facilitant ainsi le développement des compétences et la collaboration entre les chercheurs des institutions de l’UE. Tout en favorisant la collaboration internationale, le programme fait l’objet de critiques en raison de son financement limité, qui se traduit par un faible taux de réussite (16 %), et d’un processus de candidature complexe qui pose problème aux petites institutions. En outre, les obstacles administratifs liés à la gestion des détachements et à la réintégration perturbent la continuité de la carrière. Son orientation étroite vers le personnel de recherche exclut les professionnels de l’administration et de la politique qui pourraient également en bénéficier.

Programmes de mobilité interne à la Commission européenne

La Commission européenne propose des programmes de mobilité interne structurés qui permettent aux fonctionnaires permanents d’effectuer des rotations entre les départements et les services. Ce système garantit que les membres du personnel acquièrent une expérience diversifiée et que les connaissances institutionnelles sont partagées efficacement. Cependant, ces programmes ne s’étendent pas aux agents temporaires et aux agents contractuels des agences décentralisées, ce qui crée une disparité dans les possibilités d’évolution de carrière. L’intégration du personnel des agences dans ces programmes de mobilité interne pourrait combler cette lacune et offrir des possibilités égales de progression de carrière.

Si plusieurs initiatives existent pour soutenir la mobilité inter-agences au sein des institutions de l’UE, nombre d’entre elles restent limitées en termes de domaine d’application, de participation et d’accessibilité. Le marché de l’emploi interagences et le marché de l’emploi de l’agent contractuel 3a offrent certaines options de mobilité professionnelle, mais ils ne sont pas universellement adoptés par toutes les agences de l’UE. Les actions Marie Skłodowska-Curie – programme d’échange de personnel constituent un modèle de mobilité efficace, mais il est actuellement limité au personnel de recherche. Enfin, les programmes de mobilité interne de la Commission européenne offrent des possibilités intéressantes, mais ils restent inaccessibles aux agents temporaires et contractuels des agences décentralisées. Un cadre de mobilité plus inclusif et structuré renforcerait la rétention du personnel, l’efficacité institutionnelle et l’évolution de carrière dans les agences décentralisées de l’UE.

Isidoros TSOUROS

A PROPOS DE L’AUTEUR

Isidoros a occupé le poste d’assistant de recherche à l’EUAA en 2019. Avec plus de 25 ans d’expérience en tant que professionnel du droit, il a eu une carrière distinguée, étant élu président d’un barreau de droit grec à deux reprises. En 2022, il a été élu au Comité exécutif de l’USB en tant que représentant de la section des agences. Cet article reflète sa perspective syndicale et est rédigé à ce titre.