Parents éloignés : la précarité au sein des agences

Parents éloignés : la précarité au sein des agences

Agora #87
24-25

La précarité – une position d’incertitude où votre avenir dépend du hasard ou d’événements indépendants de votre volonté – est de plus en plus courante dans la fonction publique européenne, y compris dans les agences de l’Union européenn

Leur structure et leur localisation aggravent les problèmes de précarité dans les agences de l’UE

La précarité – une position d’incertitude où votre avenir dépend du hasard ou d’événements indépendants de votre volonté – est de plus en plus courante dans la fonction publique européenne, y compris dans les agences de l’Union européenne. Malgré leur « indépendance », les décisions concernant les emplois et les carrières, qui affectent les moyens de subsistance de quelques 9000 agents travaillant dans les 43 agences décentralisées et exécutives de l’UE, sont prises « ailleurs ».

Le nombre d’effectifs des agences est contrôlé par la Commission européenne dont l’impératif semble être de les limiter. En 2012, le Parlement européen, le Conseil et la Commission ont signé « l’approche commune » qui, entre 2013 et 2017, a réduit le personnel des quelques agences existantes afin de recruter le personnel nécessaire aux nouvelles agences ou celles en expansion. Conformément à l’approche commune, sept agences disposent d’une clause d’extinction [1] et 13 autres agences d’une clause de révision dans leurs règlements fondateurs, ce qui facilite leur fusion et/ou leur fermeture. Les évaluations périodiques des agences se concentrent désormais sur la réduction des coûts et examinent la fusion ou la fermeture de l’agence évaluée. Il est toujours troublant de voir l’existence de l’organisation pour laquelle nous travaillons remise en question par des autorités éloignées.

Plusieurs problèmes de précarité et d’incertitude, qui sont familiers aux collègues d’autres institutions, peuvent être exacerbés dans les agences par le nombre relativement faible de personnel fixe dans les tableaux des effectifs des agences.

De nouvelles exigences professionnelles et trop de « priorités », accordées à des effectifs réduits, brouillent les frontières entre les rôles et les responsabilités. Inévitablement, les agents contractuels sont recrutés ou sollicités pour faire le travail d’administrateurs et d’assistants. Comme dans les grandes institutions, les agents contractuels dans les agences sont également confrontés au problème du reclassement dans un groupe de fonctions supérieur, après avoir assumé des responsabilités supplémentaires. Le reclassement des agents contractuels est difficile et ne peut être accordé que par le biais d’un nouveau contrat, ce qui peut entraîner la perte, soit des conditions d’emploi, soit des droits à pension, ou les deux.

[1] Une disposition du règlement qui ferme automatiquement l’agence après une période déterminée, à moins que cette période ne soit prolongée par une modification du règlement.

Les grades du personnel définis par le tableau des effectifs dans les agences peuvent également entraver la progression de carrière.

L’indisponibilité des postes du grade supérieur peut entraîner le blocage de collègues dans un grade particulier pendant beaucoup plus d’années que la « moyenne » avant une possible promotion. L’expérience n’aide pas toujours les collègues qui cherchent à obtenir une promotion par le biais d’un concours. Les agences lancent souvent les phases internes, interinstitutionnelles et externes des concours en même temps, tandis que les agents contractuels, aussi expérimentés soient-ils, ne peuvent pas postuler en tant que candidats internes. La durée et les renouvellements des contrats varient également selon les agences, allant, par exemple, de deux ans avec renouvellement pour un an supplémentaire, à deux contrats de cinq ans. Certaines agences, par politique, n’attribuent pas de contrats à durée indéterminée.

Problèmes locaux

Le personnel des agences est également confronté à des problèmes d’emploi et de carrière spécifiques, découlant des circonstances uniques de son emplacement. L’éducation des enfants du personnel des agences peut être problématique. La plupart des agences n’ont pas d’école européenne.
De nombreux membres du personnel des agences ne peuvent pas éduquer leurs enfants dans leur langue maternelle et ils se contentent que leurs enfants apprennent, dans une école privée,  l’une des langues européennes les plus parlées. Cela peut être coûteux et l’application du coefficient de salaire peut réduire l’indemnité d’éducation de sorte qu’elle ne couvre plus les frais de scolarité. Dans l’un de ces cas par exemple, l’agence concernée a passé un contrat directement avec les prestataires d’éducation internationale locaux pour couvrir les frais de scolarité des enfants de leur personnel.
Toutefois, de telles dispositions dépendent du bon vouloir des directeurs et conseils d’administration des agences et elles peuvent, à tout moment, être retirées. L’offre et les coûts de garde d’enfants varient également d’un pays à l’autre. Dans certains cas, cela coûte très cher, en particulier pour les agents contractuels. Certaines agences fournissent un soutien supplémentaire pour la garde d’enfants, mais cela dépend, aussi, des directeurs et des conseils d’administration.

Flexibilité, pas performance

En conséquence, certaines agences ont des difficultés à recruter et à retenir leur personnel. La Cour des Comptes européenne a noté qu’en 2018, les agences employaient quelque 1500 consultants en informatique et agents intérimaires et que les agences dépendaient de plus en plus de sous-traitants privés pour l’exécution des tâches essentielles[1]. La Cour a également reconnu le lien entre ressources adéquates et performance de l’agence.

Malheureusement, la Cour ne remet pas en cause la valeur de la « flexibilité » que les conditions de travail précaires apportent, théoriquement, aux organisations. La « flexibilité » budgétaire est limitée dans la comptabilité annuelle du secteur public. Les conditions de travail précaires et incertaines n’apportent aucun avantage organisationnel en termes d’expertise, de résilience ou d’adaptabilité. Beaucoup d’obstacles à la promotion, au reclassement et aux contrats à durée indéterminée sont de nature politique et n’ont aucun rapport avec les performances individuelles. Cela s’ajoute, malheureusement, au sentiment d’incertitude et de manque de contrôle éprouvés par le personnel des agences.

Les problèmes de précarité et d’incertitude dans les agences ont été pris en compte dans une résolution de l’Union Syndicale de 2019[2]. La résolution demandait à l’USF d’assurer la nomination d’un représentant spécial pour soutenir le personnel des agences, entre autres en surveillant l’application du statut du personnel dans les agences et en développant une stratégie de communication avec elles. Certains progrès ont été réalisés. En 2019, les six agences exécutives ont reconnu que pour être des employeurs attractifs, les agences doivent offrir des options significatives pour des carrières durables. Ils ont écrit à la DG RH de la Commission européenne pour établir un groupe de travail des agences exécutives.

La stratégie de communication présentée dans la résolution est centrée sur le renforcement de la représentation de l’USF dans les agences et de la représentation des agences au sein de l’USF. Grâce à une plus forte représentation des agences au sein de l’USF, les décisions qui affectent les emplois et les carrières du personnel des agences peuvent finalement être reconnues.

[1] Rapport spécial 22/2020: L’avenir des agences de l’UE – Potentiel pour plus de souplesse et de coopération. Cour des comptes européenne.

[2] Résolution concernant les agences de l’UE, USF, 15ème Congrès 30 mai -2 juin 2019, Bratislava, Slovaquie.

Steve Brainbridge

A PROPOS DE L’AUTEUR

Analyste des politiques européennes d’enseignement et de formation professionnelles au Cedefop (Centre européen pour le développement de la formation professionnelle).